[PV Zhixue] Rouge - Terminé

Rouge.
Yuki se laissa tomber à genoux. Les yeux écarquillés, fixés sur le corps à ses côtés.

Rouge, l'uniforme.

Des larmes apparurent dans ses yeux clairs. À ses côtés, le corps de la petite nouvelle, Jade, qui avait rejoint ses rangs deux semaines auparavant.

Rouge, sa main.

Sa main qui caressait la joue pâle de la jeune fille, y laissant une traînée écarlate. Volontaire et intrépide, elle avait gravi les échelons à la vitesse de la lumière. Yuki l'avait tout de suite appréciée, plaçant de grands espoirs en elle. Qui sait, dans quelques années, elle pourrait très bien être sa seconde ?

Rouge, son épaule.

Son épaule qui la tiraillait. Une balle perdue, sans doute. Elle ne l'avait même pas sentie, perdue dans un monde de violence sans nom et d'adrénaline. Une tâche rouge carmin s'agrandissait sur la manche de son uniforme blanc.

Rouge, l'herbe à ses pieds.

La Générale n'osa pas ouvrir les yeux. Ses doigts glissèrent au sol, effleurant l'herbe poisseuse. Elle était comme ça sur au moins un kilomètre.
L'herbe grasse dont raffolait les chevaux avait disparu au profit d'un champ d'herbes toxiques. Rouges.

Rouge, la plaie qui barrait son arcade sourcilière.

Quelque chose ruisselait sur son visage, sur son oeil. Yuki le garda sagement fermé, ouvrant l'autre avec précautions. Personne.
Elle était toute seule... Encore.
Elle se leva et faillit retomber. Ses jambes flageolaient dangereusement et son coeur lui faisait mal. Son regard balaya le champs de bataille.

Rouges, les cadavres.

Il n'y avait que cela. Il ne manquait que la musique, et elle se serait crue dans un film d'horreur. Des cadavres par centaines s'étalaient devant elle, et il n'y en avait pas moins derrière.
Seule debout, seule survivante.

Rouges, les perles qui se mêlaient à ses larmes.

Un hurlement retentit dans la plaine, mais il n'y avait personne pour l'entendre. La pluie tombait, drue, fouettant son visage, se mêlant à ses larmes et quelques gouttes rouges qui avaient séché sur ses joues.
Yuki hurlait à la lune, cachée par les nuages d'orage qui se profilaient à l'horizon. Elle qui, dans une bataille, n'avait que ses compagnons comme préoccupation. Ils étaient tous là, les yeux rivés vers un ciel qu'ils ne pouvaient plus voir.

Rouge, le coeur battant dans sa poitrine.

Pourquoi était-elle toujours en vie, elle ? Pourquoi son coeur cognait-il si fort dans sa poitrine alors que ceux de ses amis, de ses soldats, avait cessé de battre à tout jamais ?

Rouge, le cheval au clair de lune.

Un hennissement strident la tira de ces pensées morbides. Un hongre se tenait fièrement sous la lune, et la regardait. Dans toute cette horreur, son destrier, Yokaï, s'en était tiré. Lorsqu'elle avait voltigé par dessus son encolure, elle n'avait pas pu voir ce qu'il était advenu de lui, luttant pour sa survie. Le voir ainsi, sa robe isabelle couverte d'éclaboussures rouges, provoqua une myriade de sentiments chez la jeune femme aux cheveux bleus.
Elle courut vers lui, et en quelques secondes, elle avait bondit, son pied dans l'étrier, et se tenait sur le dos du cheval arabe. L'instant d'après, ils filaient tous les deux au galop à travers les décombres et les cadavres.

Rouge, la lumière.

La soldate avait passé ses bras autour de l'encolure de son cheval. Ils filaient tous les deux, sans regarder où ils allaient. Les sabots de l'arabe martelaient le sol sans douceur. Yuki pouvait entendre les battements de son coeur, elle se sentait mal.
Sans s'en rendre compte, les deux passèrent une lumière rougeoyante. Pendant quelques instants, ils flottèrent dans le vide, Yokaï battant l'air de ses jambes.

Rouge, la vision.

Lorsque le cheval toucha le sol, il trébucha, mais parvint à se rétablir.
Yuki, par contre, se sentit basculer en avant. Ses nausées se faisaient de plus en plus violentes et une douleur irradiait son flanc gauche.
Elle tomba lourdement au sol, et fut surprise par une quinte de toux.
Ses yeux se baissèrent sur son côté gauche, et après quelques secondes, sa vue se troubla, vira au rouge.

Et elle s'effondra.
Sur son côté gauche, une large tâche rouge s'étalait, grandissant de secondes en secondes. Elle ne l'avait pas sentie avant, emportée dans un tourbillon de peur, d'adrénaline et de souffrances.

Rouge, le sang qui, comme la vie, s'échappait d'elle à chaque seconde.

Elle baignait dans un univers sombre. Autour d'elle, il n'y avait que du noir. Comme perdue au milieu du néant.
Elle se sentait étrangement bien, ainsi. Yuki savait qu'elle était couchée. Pourquoi ? Elle ne sentait rien sous son dos, et elle ne voyait rien non plus.

Mais elle était bien. Elle se sentait en paix. Entourée d'un cocon de chaleur, qui étouffait les bruits de l'extérieur.
Tiens, des voix. Faibles et diffuses. Elle ne parvint pas à saisir le sens de leurs paroles, et se désintéressa de ce bruit lointain.

Quelque chose lui souffla qu'il ne fallait pas rester là. Son instinct, qu'elle avait toujours suivi. Pourquoi ? Elle était bien, là.
Tiens, quelqu'un la touchait. Il n'y avait personne, ce n'était à ne rien y comprendre.

Et puis, les derniers événements lui revinrent. La frappant brutalement. Comment avait-elle pu oublier ? Tous ses camarades, tombés devant ses yeux, tout ce rouge, autour d'elle...
La balle qui frappe son épaule. Une autre qui atteint son flanc.
Des impacts qu'elle n'avait pas senti, l'adrénaline étant saturée dans son sang.

Elle voulut bouger, se débattre dans cette obscurité, mais son corps refusait de bouger. Elle comprenait, enfin, où elle était. Non non non, pas question de mourir comme ça. Si elle avait encore conscience de son corps, c'est qu'elle n'était pas encore morte.
Elle se battrait jusqu'à la fin.

Dans le monde réel, les traits de son visage se durcirent brusquement, sans préavis.

Quelque chose fut pressé contre ses plaies. Cela procura une étrange sensation à la jeune militaire, qui se débattait contre ces liens invisibles qui la maintenaient dans ce monde d'ombres.
Il lui fallait éviter la lumière, si elle se fiait aux témoignages de personnes ayant vécu une expérience de mort imminente.

Elle sentait que, dans la réalité, on la déplaçait. Elle se demanda ce qu'on allait faire de son cheval, Yokaï. C'était drôle. Sur son lit de mort, elle s'inquiétait encore de son compagnon...
Une douleur aigue la figea sur place, transperçant sa poitrine, et l'impression de noir s'évanouit. Les bruits se turent. Les sensations disparurent.
Elle n'avait plus le choix que de se fier à ces mains qui la manipulaient pour lui sauver la vie. Car elle ne pouvait plus rien faire.