Quel est cet endroit? [Terminé]

Alysia pousse l’immense portail noir de jais avec un haussement d’épaules, se fichant bien d’où elle pourrait atterrir, certaine qu’aucun endroit ne pourrait être pire que celui d’où elle venait. De toute façon, elle est trempée et son unique but pour le reste de la journée est d’errer en tenant vaguement sur ses jambes. Elle se dit intérieurement qu’elle pourrait bien faire ça pour l’éternité, personne ne remarquerait son absence… Toute à ses pensées, elle avance de quelques pas et sursaute un peu lorsque le portail claque en se refermant derrière elle. Il n’y a pas de vent pourtant ! Peut-être est-il automatisé ? Ne voulant pas se montrer décontenancée, Alysia se retourne et poursuit son chemin, avec un peu plus d’hésitation cette fois. Le brouillard dans lequel elle s’avançait il y a de cela quelques minutes s’estompe peu à peu, et la jeune fille peu à présent distinguer des bâtisses à quelques centaines de mètres de là. Un village, ici ? Elle n’a pas souvenir de l’avoir déjà vu, et ça ne fait pas si longtemps qu’elle marche quand même, elle connaît les environs…

Encore un peu plus hésitante, Alysia s’avance d’un pas lent, les épaules légèrement voûtées, balayant de temps à autre les environs du regard, de sorte que vue de l’extérieur elle doit faire un peu penser à un animal apeuré. A cette pensée elle se redresse un peu en toussotant, continuant d’observer le bois qui encadre le chemin après quelques mètres de pelouse. Elle se doute que pas mal de temps s’est écoulé depuis qu’elle a commencé sa marche, et le soleil ne va pas tarder à se coucher. La jeune fille regarde justement la position du Soleil dans le ciel, lorsqu’elle heurte de plein fouet quelque chose, ou quelqu’un, se trouvant apparemment face à elle. En rougissant un peu, Alysia regarde à nouveau devant elle et s’excuse en voyant qu’il s’agit bien d’une personne :

« Pardon… Je vous prie de m’excuser, je ne savais pas… »

Que quoi ? Qu’il y avait une autre présence humaine ici ? Ce n’est pas parce qu’elle-même ignore où elle se trouve qu’elle est seule ! Elle se tait, se sentant de plus en plus stupide.

Le mystérieux inconnu qu’Alysia a heurté quelques secondes plus tôt en observant le ciel se trouve être une jeune fille aux longs cheveux blonds et ondulés, aux yeux intelligents derrière ses lunettes claires et aux traits fins. Elle semble à peu près aussi âgée qu’Alysia. Au moment où la jeune fille s’excuse de sa maladresse, le son de sa voix se mélange avec celui de l’inconnue, et le tintement cristallin de sa voix résonne aux oreilles de la jeune fille :

« Ca va aller ? Je suis désolée, je n’ai pas regardé devant moi, si je l’avais fait, je ne vous aurais pas heurté…

Le silence s’installe et le regard de la jeune fille se pose sur Alysia, ce qui lui fait penser que trempée comme elle l’est en ce moment, elle doit offrir un bien piètre tableau. Ou bien est-ce ce qu’elle a dit ? Quoi qu’il en soit, elle ne sait pas par où commencer. Elle sait qu’elle devrait prendre la parole, là, maintenant, ne pas laisser le silence se faire pesant entre elles, tenter de retrouver un minimum de contenance, mais dans le même temps son tempérament méfiant et discret semble la paralyser et l’empêcher de penser à une quelconque phrase intelligente. Se jetant à l’eau, la jeune fille fait donc on ne peut plus classique et franc, non sans rougir un peu :

- Oui ça va, merci… Je m’appelle Alysia et… hum, eh bien… je n’ai aucune idée d’où je me trouve. Pourriez-vous me renseigner, s’il-vous-plaît ? »

Alysia ne saurait expliquer pourquoi, mais des larmes lui montent et elle les réprime à grand peine tandis qu’une boule envahit sa gorge, de sorte qu’elle se sent bien incapable d’articuler un seul mot de plus. Elle voudrait plus que tout ne pas se montrer aussi faible devant cette inconnue qui doit à présent regretter de lui avoir adressé la parole, et comme elle ne regrette absolument pas d’être partie, même en cet instant, elle met cette sensation sur le compte de son état de fatigue. Quoi qu’il en soit, il faut qu’elle se reprenne : cette fille n’aura certainement pas envie de lui apporter son aide si elle se montre pleurnicharde et immature ! Surtout que ce n’est pas dans son habitude de l’être. En fermant brièvement les yeux pour reprendre ses esprits, elle inspire profondément l’air frais empli de l’odeur du bois et adresse un sourire, timide mais franc, à son interlocutrice, espérant par là se montrer plus engageante.

La jeune fille remonte un peu ses lunettes, avant de répondre à Alysia d’une manière toute naturelle, ne la quittant pas du regard :

« Tu es à Etiopia, un village rempli de filles qui ont connu un passé triste ou malheureux et qui sont ici pour reprendre tout à zéro et mon nom est Juri, enchantée.

La jeune fille, bouche bée, essaie de réaliser ce qu’elle vient d’entendre, alors que la dénommée Juri reprend :

Est-ce que tout va bien ? Tu es toute trempée et tu vas surement attraper froid, vu la température la nuit, je te suggère d’aller à un endroit plus chaud et je pourrais t’expliquer plus en précision beaucoup de choses.

Elle sourit à Alysia, mais celle-ci est trop occupée, plongée dans ses pensées, pour vraiment en être touchée : un village de filles… ? Un passé malheureux ? Mais ce qui la touche, son plus grand espoir, sont ces quelques mots : reprendre tout à zéro. Est-ce vraiment possible ? Peut-elle seulement tout reprendre à zéro ? Faire abstraction du passé, et tout recommencer sur de nouvelles bases, avec de nouvelles personnes… Alysia ignore comment elle a bien pu atterrir dans ce mystérieux village, puisqu’elle ignorait jusqu’à présent son existence, mais elle ressent une bouffée de soulagement : ici, elle ne se sentira peut-être plus différente, comme elle l’a ressenti toute sa vie ! Elle pourrait se faire des amis, être heureuse, rencontrer des gens qui la comprennent ! Elle ne peut réprimer un sourire, pas forcé celui-là, qui s’étend sur son visage devenu – timidement – rayonnant. Après tout, aussi miraculeux que puisse être Etiopia, elle n’est pas certaine de pouvoir faire confiance à Juri : elle ne la connaît pas, après tout ! Cependant, elle a vraiment l’air de vouloir l’aider, c’est pourquoi Alysia lui répond sans se départir de son sourire :

- Oui, ça va, enfin je crois… (Elle prend une profonde inspiration) Oui, ça va ! Ça fait un choc, mais positivement, je dois dire.

Doit-elle accepter de suivre cette fille qu’elle vient de rencontrer ? Ses pensées vont à toute allure, tandis que son interlocutrice l’observe toujours. Elle n’a pas vraiment le choix, en fait : elle ne connaît absolument rien de cet étrange village, et une guide lui serait de la plus grande utilité, surtout si elle se propose ! Et puis, Juri n’a pas tort : trempée comme elle est, il vaut mieux ne pas rester dehors alors que la nuit fait son apparition. Elle décide donc de la suivre : si elle a vraiment la possibilité de tout recommencer, elle pourrait déjà commencer par se montrer amicale ! Avec un petit air amusé, elle reprend donc de façon théâtrale :

Eh bien, chère guide, je vous suis volontiers ! Je n’ai effectivement aucune envie de rester en plein courant d’air, seule, et la nuit qui plus est.

A ces mots, Juri arbore elle-aussi un sourire, en enlevant son manteau et le posant sur les épaules d’Alysia :

- Je pense que ça t'aidera à avoir moins froid.»

Alors qu’elle a toujours ses mains doucement posées sur les épaules de la jeune fille, celle-ci lui adresse un sourire reconnaissant et la suit sur le chemin un peu sinueux, les dirigeant toutes deux vers des bâtisses dont les fenêtres commencent déjà à s’éclairer dans la pénombre.