Stabilisateur de normalité [Libre]

Bon.

C'est ce que je me dis le plus souvent, ces temps-ci.

Ma vie a pris un tournant absolument improbable en même temps. Déjà, j'ai perdu R. Ensuite, j'ai voulu en finir, et je me suis retrouvé dans ce village bizarre. Après, ça s'est pas arrangé. Y a que des nanas dans ce village, je soupçonne l’enlèvement extraterrestre et le complot à la Matrix. Bien sûr, après, je me suis rendu compte que ma colocataire, ou plus exactement ma co-détenue n'était autre qu'Elara Iasarev, que je peux pas blairer depuis le jour où j'ai découvert son existence... Et puis il y a eu Rosie, cette adorable gamine que j'ai retrouvé toute seule au portail et dont j'ai du m'occuper comme j'ai pu, et c'était pas évident parce que la petite est récemment devenue orpheline... De plus, cela ne fait que raviver des souvenirs personnels parfois relativement douloureux.

Donc, voilà : bon.
Maintenant que je suis débarrassée de mes vêtements, comme libérée de toute contrainte, je vais peut être pouvoir prétendre à une amorce de détente. Au moins un peu. J'ai lu quelques mangas où les héros allaient dans des sources chaudes semblables à celles-ci, et apparemment c'était très relaxant, alors j'espère obtenir le même résultat sur moi.
Je soupire, me laissant glisser dans l'eau chaude avec plaisir. J'ai un petit sourire qui se loge sur mon visage, et qui disparaît assez vite. Quel pied, bon sang...

J'espère que ma situation va vite se stabiliser, et que je vais enfin découvrir la vérité sur ce village débile. Je ferme les yeux et savoure ce moment d'absence.

Au début, je ne l'ai pas vraiment remarqué. C'est quand elle a commencé à se dessaper que j'ai vu que j'avais de la compagnie. Je l'ai regardé d'un air absent, et puis me disant que ce n'était pas très poli de regarder les inconnues se changer, j'ai détourner les yeux.

Elle goûta l'eau du bout du pied. Oui, bon, je sais, je me suis remise à la fixer, mais c'est normal de regarder quelqu'un à proximité, nan? Et puis de toute façon, depuis quand est ce que je me soucie de la politesse moi? Je crois de toute façon qu'elle ne m'a pas remarquée, elle même...Ou alors elle se fiche éperdument de  ma présence, ce qui règle le problème.
Finalement, même si je n'ai pas pu trancher, lorsqu'elle s'est jeter dans l'eau comme une pierre, ma pensée s'est précisée: soit cette fille est d'une impolitesse surpassant la mienne, et dans ce cas je suis tranquille, soit je suis un véritable fantôme pour l'instant.
Elle rit, sortant de l'eau. Elle avait l'air contente d'elle, c'est une bonne chose, et surtout un sentiment que je ne connais que de nom.

Elle s'essuie les cheveux, qu'elle a colorés. Elle est un peu étrange, mais c'est une réflexion que je me fais très souvent et à propos de tout le monde, donc je n'y prête pas vraiment attention. Enfin, son regard semble capter le mien, et à son expression, je me reporte finalement à ma deuxième réflexion: elle n'avait pas vu que j'étais là. Du tout. Embarrassée, elle opte pour une stratégie de formalité sociale histoire de rattraper sa maladresse passée.

" C'est agréable non ? ... L'eau est bien chaude haha... "

J'approuve cette affirmation en silence, d'un hochement de tête, fermant les yeux d'un air détendu. Pour le moment, les sources chaudes semblent effectivement efficaces, puisqu'elles m'ont permis de réagir très poliment et même sans aucune grossièreté à son intrusion.

"Heu, je vous dérange peut être ? "

Je réfléchis un court instant, la fixant, et puis je répond.

"Pas pour l'instant."

Après tout ça arrive à tout le monde, les moments de solitude. J'ai décidé de ne pas lui en vouloir. Et puis je me sens assez...Seule, ici. Je me suis toujours sentie seule, mais là je suis tellement larguée que ce sentiment n'en est que plus renforcé.
Toujours aussi gênée, elle se présente tout bas.


" Je m'appelle Florence, enchantée..."


J’acquiesce encore une fois.

"Enchantée. Félicia."

Et puis comme j'ai pas envie de me retrouver dans une atmosphère pesante pour le restant de mon séjour ici, je décide de faire un effort et d'ajouter.

"Vous en faites pas, hein. J'vous en veux pas pour tout à l'heure. Je suis dans un jour de bonté."

Je ponctue cette phrase d'un léger sourire, un peu maladroit. J'ai toujours eu un humour très bizarre, alors je suis obligé de faire quelques sourires de temps en temps pour que les gens ne me prennent pas pour une psychopathe en puissance...

Je regarde autour de nous, cherchant ce qu'il est commun de faire dans ce genre de situations... Je choisis de me soumettre aux lois de la conversation et de ses navrantes banalités.

"Vous êtes du coin?"

Si ça se trouve, elle arrivera à me faire comprendre comment fonctionne ce village tellement space...  Avec un peu de chance, si elle a les réponses à mes questions, moi la nouvelle paumée.

Bon, elle a l'air d'avoir compris. C'est une bonne chose. Comme je suis plutôt de bonne humeur, ça m'évite de me braquer.

" L'eau chaude adoucit les mœurs je pense... C'est sympa de me faire profiter de votre jour de bonté en tout les cas, merci ! Je suis contente de ne pas trop avoir troublée votre paix, je suis souvent un peu trop... Bruyante.

-Effectivement. Faut pas s'étonner que les japonais soient un peuple zen. Ils ont tout pour l'être... Ils savent comment vivre. Les grandes villes européennes seraient un paradis si il pouvait y avoir des sources chaudes."

Elle fait mumuse avec l'eau, toute détendue. Cependant, la détente ne semble pas être entièrement efficace, car ma question l'interpelle à tel point qu'elle enchaîne les réponses avec une aisance déconcertante pour quelqu'un qui semblait tellement mal à l'aise après s'être ridiculisée:


" Ha non ! Il y a très peu de personnes originaires d'Etiopia, toutes les jeunes femmes ayant atterrit ici on eu un passé... Houleux. Difficile, voire même atrocement horrifiant. Vous venez d'arriver je présume ? Je suis la gérante de l'animalerie, je connais vaguement la plupart des visages du coin, du moins, pour celles qui aiment les animaux. Vous devriez passer à l'occasion, je ne sais pas si vous êtes intéressée par la cause animal, mais je cherche toujours du monde pour donner un coup de main. Et puis vous pouvez venir pour simplement les caresser, plume, poiles, écailles,... Il n'y a que l'embarras du choix !
Excusez moi mais je divague, je suis Franco-belge en réalité, et j'ai 22 ans... Je pense que vous savez à peu prêt tout de ma vie désormais, il n'y a rien d'autre à ajouter...
Et vous alors ? Des projets ? Quelle origine ? ho excusez moi, je parle beaucoup... Je n'ai pas beaucoup d'amis dans le coin, je présume que je suis un peu trop étrange, alors je profite d'un peu d'humanité à l'occasion. "

Alors qu'elle passe ses doigts dans ses cheveux en soupirant d'aise, je ne peux m'empêcher de hausser les sourcils un instant, impressionnée. Quel débit elle a, seigneur! Un vrai moulin à paroles. Enfin, comme je l'ai déjà dit, c'est mon jour de bonté, alors...

Je répond plus calmement, et de manière ordonnée:

"Je vois... Enfin...A peu près. Je suis moi même d'origine Franco-Russe. J'ai 19 ans et effectivement je viens d'arriver. Quant à mes projets...Déjà...Comprendre. Mais je comprend déjà pas trop ce que je fous là. Qu'est ce que c'est que cette histoire de...passé difficile? C'est pas la première fois que j'entend parler de ça. Pourquoi on se retrouve là? Et pourquoi y a que des nanas dans le coin?"

Alors comme ça, c'est elle la gérante de l'animalerie. Ça va, j'aime bien les animaux. J'ai toujours eu l'impression qu'il était plus facile de se lier d'affections quelles qu'elles soient avec des animaux qu'avec des humains. Si ça se trouve, c'est le langage qui sème la discorde entre nous, parce que le fait de ne pas pouvoir avoir de communication exacte avec les animaux me semble faciliter les choses. Je suis un peu bizarre sans doute, j'ai parfois l'impression d'être la seule à raisonner ainsi.

"Bah...Je pourrais passer à l'occasion. J'aime les animaux en règle générale. Surtout les animaux sauvages en fait, mais c'est toujours agréable de papouiller des bestioles domestiquées, n'importe lesquelles d'ailleurs. Vous avez quoi dans votre animalerie? Vous la gérez toute seule?"

Je crois que j'ai déjà aperçu cette animalerie en plus, en ville...
Je me gratte un peu la nuque. C'est vraiment génial l'eau chaude. Ça vous décoince, et ça vous détend comme pas permis... Parce que je suis quand même en train de taper la discute à une inconnue alors qu'habituellement, j'aime pas les gens.

"Si les gens arrêtais de courir ne serait-ce qu'un instant ils pourraient peut être apprécier ce qui les entoure..."

Je méditais un instant sur cette phrase. Et puis j'hochais longuement la tête, un peu dans les vapes. C'est la vérité, les gens courent beaucoup, et je me suis habitué à ce rush permanent autour de moi. Je n'ai jamais vraiment pris le temps de me poser, comme beaucoup. Dès que je commençais à m'ennuyer, il me fallait canaliser mon esprit en faisant autre chose, pour m'éviter de penser à tout prix, car souvent quand je pensais je finissais de sale humeur.

"C'est vrai. Maintenant reste à savoir si ce qui les entoure en vaut vraiment la peine..."

Pour ma part, avant, en dehors de la période où j'ai vécu avec R, il n'y avait vraiment rien à savourer dans les choses qui m'entouraient. Cependant, malgré la douleur que je portais en moi en arrivant ici, je ne me rappelle pas avoir beaucoup souffert depuis mon arrivée ici. Pourtant, tout est tellement...paisible que j'ai largement eu l'occasion de méditer là-dessus. Je veux dire...Sur mon existence en générale. Ce lieu est vraiment très particulier, je n'en ai jamais connu de tels auparavant.
Elle m'en apprend un peu plus, ou plutôt elle confirme et précise ce que j'avais déjà pu entendre et que je refusais d'accepter jusque là:

" Et bien, c'est à dire que le village d'Etiopia me semble entouré de... Magie. J'ai ma théorie sur le sujet, car je ne sais pas non plus toute la vérité sur cette histoire. Mais il me semble que le village a une sorte de conscience propre, il sauve en quelque sortes les filles qui le mérite de la naissance à la vieillesse très avancé, car on ne peut pas sauver les morts..."

Sur ce point, déjà, on est à peu près d'accord. C'est pas un lieu comme les autres, et on s'y sent un peu comme...Raah, je sais pas comment expliquer ça. C'est comme si il y avait quelque chose de...Vivant, dans l'air, et qui flotte en permanence. C'est parfois un peu gênant.


" C'est une sorte de havre de paix, de paradis peut être, même si ce n'est pas la vision que je m'en étais fait. Du paradis j'entends. Je ne pense pas que nous soyons mortes. Et je pense que toutes les filles présentes ici sont... Et bien, amoureuses de filles, ou attirées un minimum en tout cas. Je ne vois que cette explication pour expliquer l'absence totale de gars. La seule qui pourrait vous donner des explications plus poussée est la mairesse de cette endroit, mais il me semble qu'elle est vraiment très occupée. Voila, j'espère que j'aurais put éclairée un temps soit peu l’obscurité qui régnait dans votre esprit à ce propos"

Donc, déjà, récapitulons. Je ne suis sans doute pas morte, du moins c'est ce qu'elle suppose. Peut être y a t-il donc bel et bien un moyen de s'échapper d'ici même si à vrai dire je ne trouve pas vraiment d'intérêt à faire ça (après tout, c'est pas comme si quelque chose m'attendait en dehors de ce village depuis Sa disparition..)
Sauf que je comprend avec un peu de recul ce qu'elle vient de dire.
C'est un village de.....lesbiennes? J'arque un sourcil. Attendez...mais qu'est ce que je fous là, moi, alors?? Ca veut dire que même Elara, ma coloc détestée, est......Eeew. Je la verrais plus de la même façon. Si elle s'amuse à me mater quand je me change ce soir, je la frappe.

Avant même que j'ai eu le temps de trouver quoi que ce soit à répondre, un nouvel intru a fait son apparition dans les sources chaudes. Un petit animal cette fois. Un rouge gorge de sa connaissance apparemment. Je l'observe un peu. Ce village est vraiment...bizarre. On pourrait dire magique, aussi, ça colle pas trop mal en fait...

" Non, il y a une équipe derrière moi et quelques jeunes qui travaillent pour obtenir de l'argent de poche. Et bien, l'animalerie était en rénovation il y a peu encore. Nous avons un peu de tout, des oiseaux, des chiots, des chatons, des reptiles, des prédateurs, et un nombre considérable d'animaux très peu commun dans les animaleries... C'est un peu la magie d'Etiopia, seul les locaux nous limitent dans la proposition de nouvelles espèces. C'est un effort constant d'entretiens et de gestion des stocks, mais c'est véritablement passionnant ! "


L'animalerie a vraiment l'air d'être un coin sympa en fait, c'est plutôt cool. J'ai donc un endroit à visiter à l'occasion. Comme ça, au passage, je la reverrais. Elle a l'air de tenir à se faire quelques connaissances après tout. Je sais vraiment pas d'où me viennent tous ces moments de gentillesse spontanées qui me prennent depuis que j'ai déboulé à Etiopia.


"Nous pouvons continuer de discuter sans soucis, mais j'ai envie de nager même sommairement, histoire de me dégourdir un peu les gambettes... Vous voyez ? Vous pouvez m'accompagner si ça vous chantes, il doit y avoir pas mal de choses à "soupçonner" dans la brume... ça peut être amusant ! Et puis il y a un petit ange gardien pour surveiller les affaires, cette boule de plume peut être féroce quand elle veut, c'est elle qui m'a emmenée ici... Je ne saurais certainement jamais pourquoi. elle apparait, disparait, à son gré. Je me demande bien comment les autres l'appelle... Enfin bref !

-Oh, je comprend... Je pense que je vais rester ici pour me détendre, je n'ai pas particulièrement la bougeotte pour une fois...j'ai besoin de rester un peu seule le temps de réfléchir à tout ça. Merci quand même de me l'avoir proposer. Amusez vous bien dans votre investigation... C'était sympa de rencontrer quelqu'un ici. Je passerais à l'animalerie un de ces quatre, promis."

Je lui souris un peu, la saluant d'un petit mouvement de tête poli.