Une nouvelle inattendue [PV: Megumi ]

C'était un jour tout à fait normal à la bibliothèque. Les jeunes étudiaient calmement et les anciennes ramenaient leurs dernières lectures pour venir en discuter doucement mais activement avec leurs compères. C'était d'ailleurs très amusant d'écouter leurs conversations, mais Sarah tachait de faire les gros yeux pour qu'elles se taisent. On était dans une bibliothèque alors la règle du silence était valable pour tout le monde ! Certaines habituées saluaient la blonde en entrant et en sortant et cette dernière se devait de réussir à les différencier. Ce n'était pas tâche facile, mais elle commençait à s'y faire. On aurait pu croire qu'elle les connaissait depuis des années. Hors, Sarah n'était arrivée sur Etiopia que depuis quelques mois et ne s'expliquait pas encore tout. La plupart des filles ici paraissaient étonnement "normales". Il était difficile de se faire à l'idée que la majorité avait vécu des choses surement très difficiles voire horrible dans leur passé avant d'avoir été recueillies sur Etiopia. Sarah n'avait pas vraiment de quoi se plaindre à côté. Oui elle avait eu des moments plutôt durs, mais pas impossibles à vivre non plus. Du moins, c'était son point de vue.

Alors, malgré l’animation presque habituelle du lieu, le silence régnait pendant que tout le monde lisait. Et ce, grâce à l’œil attentif de la blonde qui veillait à ce que tout se passe bien tandis qu'elle déambulait dans les allées, s'attelant au rangement des livres que les habitués avaient ramenés. Certains trainaient encore de façon éparse, mais elle fit semblant de ne pas les voir. Elle aimait bien remettre à plus tard ce qui l'ennuyait sur le moment. Aujourd'hui, il commençait à faire froid. Les temps hivernales habituels n'étaient pas encore présents, mais on pouvait ressentir une fraicheur et Sarah avait dû mettre en route le chauffage pour ne pas que ses clients soient frigorifiés. Et, quand le mauvais temps arrivait, il y avait généralement beaucoup plus de monde. La plupart venait pour étudier à l’intérieur et pour se protéger du froid ambiant. On avait tous fait cela étant jeunes non ?

Une fois tous ses livres rangés, la blonde se retourna et s'avança jusqu'au bureau d’information de la bibliothèque afin d’accueillir les derniers arrivants. Elle prenait les livres qui venaient d’être rendus, les bipait et les posait sur le côté. Elle ouvrait de nouvelles cartes d'emprunts et expliquait les modalités à d'autres tout en oubliant pas de regarder ce qui se passait autour d'elle. En clair, elle n'avait pas de quoi s'ennuyer aujourd'hui. Elle avait même une vieille habituée qui venait lui parler d’une nouvelle d'un auteur assez connu qu'elle avait appréciée. Sarah parlait le plus bas possible pour montrer l’exemple et la dame l’imitait.

"Bonjour Madame Misaki, oui je l'ai lue, elle est vraiment inspirante. Cet auteur à une très belle écriture. Si vous l'avez aimée, je vous conseille ce roman. Il est un peu dans les mêmes thèmes. Je suis sure qu'il va vous plaire."

Enfin, la routine quoi. Sarah n'avait pas souvenir d'un seul jour sans Madame Misaki qui venait chercher un nouvel ouvrage ! Elle était gentille et Sarah l'appréciait beaucoup, mais n'avait jamais le temps de discuter avec elle. C’était l’un de ses regrets à avoir autant de boulot.
Quelqu'un qu'elle n'avait encore jamais vue entra dans la bibliothèque, alors la blonde releva la tête et la salua d'un petit sourire pour ne pas avoir à faire du bruit et baissa à nouveau la tête sur une fiche de nouveautés qu'elle devait étudier.

Sarah qui travaillait dans le silence des plus total, s'était attelée au recensement des nouveautés arrivées ces derniers jours. C'était quelque chose qu'elle faisait au moins une fois par semaine. Parce que oui, cette bibliothèque était vraiment immense. Elle devrait surement lires ces nouveaux arrivages afin de pouvoir conseiller au mieux ses clients. La plupart étaient des polars et ce n'était pas son style littéraire préféré. Mais chaque livre était capable de vous surprendre, alors il fallait bien faire de nouvelles expériences. Et les anciennes viendraient très certainement en parler avec elle dès leur lecture finie ! Elle aurait pu se contenter d'écouter certaines critiques pour donner des avis à ceux qui en voulaient, mais c'était toujours mieux d'avoir sa propre vision du livre. Et puis de toute façon elle adorait lire alors ça ne la dérangeait pas. Pourvoir conseiller les autres faisait pour elle, partie intégrante de son travail.

Elle se fit interpeller par une jeune fille qui s'approchait en criant. Elle ne manquait pas d'énergie celle-là ! Mais peut être qu'elle en avait un peu trop pour trainer dans une bibliothèque. Tiens, en voilà une de plus qui ne sait pas qu'on doit se taire dans ce genre de lieux. C'est comme si on arrivait dans une église en hurlant un morceau de hard rock. Non... Ne faites pas ça ! Un certain nombre de regards assassins se dirigeaient dans sa direction. Tous ces gens qui aimaient la tranquillité que procuraient une bibliothèque n'étaient pas vraiment ravis de voir des gens perturber leur moment de calme. Sarah les comprenait bien puisque c'était elle qui se ferait par la suite critiquer par les clients qui sous entendraient quelle n'avait pas assez d'autorité. Et zut...
Sarah fit une grimace appuyée comme si elle venait de lui percer les tympans, ce qui n'était pas loin d'être vrai. Comme la pièce était grande et le plafond très haut, ça résonnait énormément. Elle posa finalement le livre qu'elle avait entre ses mains et lui accorda toute son attention. Si elle voyait qu'elle l'écoutait, peut être parlerait elle moins fort ? En général cela fonctionnait en tout cas !

"Bonjour, si vous pouviez faire un peu moins de bruit pour les gens qui lisent..."

Sarah accepta tout de même ses excuses. Ce n'était ni la première, ni la dernière à venir perturber tout le monde en faisant un bruit monstre dans ce lieu habituellement silencieux. Elle lui fit un petit sourire pour l'encourager à donner la raison de sa venue ici. Et à sa réponse, elle s'étonna de voir ou plutôt d'entendre, qu'elle ne faisait plus le moindre bruit. Elle parlait tellement doucement que Sarah l'entendit à peine. Maintenant elle chuchotait se penchant vers elle. Décidément cette fille c'était un extrême ou l'autre ! Et Sarah n'avait pas encore tout entendu. Voilà qu'elle parlait de lutins. Qu'elle était perdue, qu'elle voulait savoir où elle se trouvait à l'aide d'un livre... Évidement que Sarah avait des livres sur l'histoire d'Eden et d'Etiopia, mais ces livres étaient à l'entrée de la bibliothèque ! Elle était passée juste devant sans regarder et c'était dirigé directement vers elle. Elle aurait pu faire l'effort de chercher un peu non ? Et cette histoire de lutins... Elle avait un grain cette fille ! C'était sûr qu'on ne devait pas ennuyer avec elle! Sarah prit son air le plus sérieux possible.

"Si j'ai bien compris, des lutins vous ont enlevée et emmenée ici ?"

La blonde marqua un temps d’arrêt pour ne pas exploser de rire. C'était tellement absurde ! C'était une blague non ? Évidemment ! Elle ne pouvait pas vraiment penser que des lutins s'étaient amusés à la balader de la montagne à la ville pour le fun. Ou alors, elle avait beaucoup d'imagination !

"Vous vous fichez de moi hein ?"

Sarah se souvint que cette fille venait avant tout pour savoir où elle était, alors elle se retourna et attrapa une carte qui était derrière elle. Elle la photocopia en même temps que de faire couler du café. Elle tendit ensuite le café à la jeune fille et ouvrit la carte sur le bureau. Elle fit une croix au stylo sur l'emplacement de la bibliothèque.

"Tenez, ça va peut-être vous aider à... heu.... penser plus clairement ? Et Nous sommes dans la ville d'Etiopia, la bibliothèque dans laquelle nous sommes est ici. Où vous êtes-vous perdue exactement ?"

Si elle s'était mise à rire, quel boucan elle aurait fait ! Elle qui reprochait aux étudiants d'être trop bruyants. Et puis le respect avant tout non ? Ca faisait partie de son travail. La jeune fille en face d'elle aurait pu le prendre mal. À sa place la blonde aurait surement tiqué, mais cette histoire de lutins sincèrement...
Elle eut un mal insupportable à ne pas rigoler en l’entendant parler maintenant de fées. Pourquoi pas Raiponce et Peter Pan tant qu'on y ait ? C'est certains que tout ce petit monde s'entendrait bien !

"Et la possibilité qu'un être humain vous ait transportée ici ? Ça me parait déjà un peu plus plausible."

Sarah arrêta de s'amuser des absurdités que sortait la jeune fille perdue, pour la prendre au sérieux. Après tout elle avait l'air complètement paumée. Enfin c'était la première fois qu'on prenait sa bibliothèque pour un office du tourisme. Y en avait-il même un à Etiopia ? C'était une bonne question, elle irait refaire un tour de la ville pour s'en assurer.
La jeune fille lui expliquait de façon assez vague qu'elle était dans une montagne et qu'elle avait finalement rencontré une sorcière. Ça n'aidait pas beaucoup Sarah à savoir d'où elle venait. Ça ne faisait qu'accentuer son impression qu'elle était complètement tarée.

"Et pourquoi est-ce que vous cherchiez vous grande sœur ? Dans une montagne mais laquelle ? Le village Maki ? Je ne connais pas, c'est vers où ? Si vous ne m'en dites pas plus je ne pourrais pas vraiment vous aider..."

Ça faisait pas mal de question mais Sarah n'était pas une carte de géographie vivante et ne connaissait pas tous les villages d'Eden. Et ce même s'il n'y en avait pas des masses. C'est le nom de Ouz mama qui retint son attention.

"Ouz Mama une vieille sorcière ? C'est la gardienne des portes d'Eden. Je ne l'ai jamais rencontrée, mais entendu parler d'elle. Donc si  vous avez eu affaire à elle s'est que vous venez d'arriver par le portail ? Ça expliquerait pourquoi vous êtes perdue."

Lui tendre une carte n'avait peut-être aucune utilité puisque si elle venait du reste du monde, elle ne pouvait pas connaitre Etiopia ou les régions qui forment l'ile Eden. Les yeux perdus de la jeune fille lui confirmèrent sa crainte. Elle était bel et bien de l'extérieur et ne pourrait aller là où elle voulait rentrer.
Elle lui parlait ensuite de Japon et Sarah était maintenant persuadée.

"Non nous ne sommes pas au Japon. Nous ne sommes pas dans un pays. Ce n'est pas non plus le pays imaginaire. Mais c'est bien plus merveilleux que cela. Nous sommes sur l'ile d'Eden. Un endroit qui n'est visible sur aucune carte en dehors d'ici. Un endroit qui donne refuge aux femmes ayant un passé douloureux ou ayant besoin d'un nouveau départ. Si votre mère aime ce genre d'histoire alors elle aimerait surement celle de cette ile."

Fallait-il qu'elle lui précise qu'il n'y avait pas de créatures fantastiques comme des lutins ou des fées ou encore de vieilles sorcières ici ? Non. Si ?

La jeune femme avait plus l'air de s'inquiéter pour sa sœur que pour son propre cas. C'était bien étrange vu qu'elle était un peu perdue dans un autre monde et loin de ses proches. Est ce qu'elle ne le réalisait pas ? Si c'était le cas, il fallait qu'elle en prenne conscience au plus vite. Qu'elle accepte sa situation. Ce n'était pas si terrible que ça après tout, elles étaient toutes passées par là.
Il fallait que la blonde arrive à lui faire comprendre que chercher sa sœur ici ne servirait à rien. Elle n'était plus au même endroit et n'avait aucune chance de la trouver là. À moins qu'elle aussi ait passé le portail et dans ce cas, elle ne tarderait pas à la revoir. Sarah était tout de même sceptique.

"Calmez-vous, je suis sure qu'elle va très bien..."

Prendre Ouz Mama pour une sorcière tout de même, elle ne devait pas être si effrayante que ça si ? Mais ce n'était pas le pire, la jeune femme avait l'air complètement paumée, comme une nouvelle fraichement arrivée. Et dans ce domaine-là, Sarah avait un assez mauvais souvenir de sa propre expérience. Et tout comme la jeune femme, elle ne pensait qu'à rentrer chez elle ! C'était compréhensible, c'était souvent la première réaction de tout le monde de vouloir retourner à un endroit qui lui était connu. Et c'était simplement parce qu'elle n'avait aucune envie de retourner à l'orphelinat qu'elle s'était résignée elle-même. Il lui fallait donc répondre le plus doucement possible, d'une façon gentille et rassurante qui ne lui donne pas envie de s'enfuir en courant pour retrouver le fameux portail et attendre désespérément qu'il ne s'ouvre !

"Oui Eden. Ou plutôt le nouvel Eden. C'est un peu compliqué, mais ce n'est pas l'Eden de Eve, mais celui d'Okazaki qui est à l'origine de ce refuge. Vous n'êtes pas morte, vous êtes dans un monde parallèle et il est impossible d'en sortir. Mais pourquoi vouloir en sortir ? Votre famille pourra se débrouiller sans vous, n'ayez crainte. Et ce portail ne laisse entrer que très peu de privilégiés. Vous devriez prendre ça comme une chance de fonder une nouvelle vie loin de tout ce qui vous empêchait d’être heureuse !"

Visiblement, Sarah n'était pas très douée pour convaincre. La jeune femme en face d'elle se mettait à pleurer le visage fermé. Pas très réussi la tentative de la faire prendre Etiopia pour un nouveau départ. Pas très réussi non plus de lui apprendre ça en douceur. La blonde ne savant pas quoi faire pour la réconforter, lui donna un de ses antidépresseurs favoris, du chocolat ! Elle passa de l'autre côté du comptoir lui frotta le dos pour essayer de la faire arrêter de pleurer. Ce n'était pas tout, mais elle faisait encore du bruit et cela gênait les clientes. Ce n'était pas le plus grave bien sûr, mais ça allait encore lui retomber dessus tiens...

"Ne vous en faites pas, ça va aller ! Croyez-moi, vous êtes bien mieux ici que chez vous. Vous allez vite aimer cet endroit. C'est beau, c'est accueillant, c'est plutôt vaste et vous pouvez devenir qui vous voulez être. Alors pourquoi vouloir absolument rentrer ? Pourquoi ne pas réfléchir à tout ce que vous allez pouvoir faire ? Il n'y a aucune raison d'avoir peur."

Sarah espérait bien être meilleure pour rassurer que pour convaincre parce que si cela faisait le même effet …  Heureusement qu'elle n'avait pas choisi d'être psychologue ! Elle ne comprenait pas pourquoi l'idée d'être seule lui faisait si peur que ça. Normalement elle aurait une colocataire à la pension et tout se passerait pour le mieux.

" Pourquoi encore ? Mais non je ne vais pas vous laisser seule, mais arrêtez de pleurer s’il vous plait..."

Toute cette situation paraissait tellement dramatique alors qu'elle était positive pour elle. Si elle s'était retrouvée là, ce n'était pas pour rien. On ne passe pas par hasard à Etiopia.

"Mais dites-moi plutôt, vous n'avez pas une passion ? Ou quelque chose que vous souhaitez accomplir ? Des rêves ? Des désirs que vous ne pouviez combler sur Terre ? Sachez qu'ici, tout est possible."