Duality [PV : Erelinn Guerin][TERMINE]

MUSIQUE

Un groupe de musiciens se produisait comme à son habitude enchainant les titres moroses. Cette salle avait une ambiance singulière dans laquelle Akira se plaisait à évoluer. Les spots éclairaient juste assez pour apercevoir les tables de billard. Volutes de fumée provoquées par un point incandescent dans la pénombre, seul indicateur de sa présence. La yankee se plaisait à se mouvoir dans l’obscurité n’apparaissant que pour écraser ses adversaires d’une main de maître. Le billard était un sport qu’Akira considérait comme noble, il était le seul à provoquer chez elle la sérénité. Seul instant au cours duquel elle ressentait de l’engouement. Sans cesse en quête de perfectionnement de sa technique. Cherchant sans relâche une adversaire lui permettant de se magnifier.

Akira passait pratiquement tout son temps libre dans cette salle. Si bien que cet endroit était devenu comme son territoire. Elle avait sa table réservée et chacune savait que seules les bonnes joueuses étaient acceptées. Savourant un scotch d’un certain âge dans l’attente de voir se présenter une personne d’intérêt. Elle était insatiable. Tel, que sa quête lui paraissait sans fin. Se demandant si ce jour tant attendu se présenterait à elle. Le temps était comme suspendu. Elle fusionnait avec la sublime noirceur de ce lieu. Mélancolique, elle semblait aussi sinistre que lui. Entièrement vêtue de noir. Sa chemise retroussée sur ses bras blancs. Sa cravate nouée par un nœud Eldredge. Ses bagues argentées reflétaient la faible lueur présente.  

Une énième prétendante se présenta à elle. Toutefois elle s’avéra elle aussi décevante. Akira enchainait les coups et dans un élan de lassitude, fit exprès de rater plusieurs fois afin de faire durer. Son regard perçant savait deviner les mouvements. Tout était calculé d’avance dans son esprit. Cela se voyait-il ? À vrai dire elle n’en avait cure. Le pourcentage de chance qu’une personne remarque tout ceci était proche de zéro. Buvant sans se soucier de ce qui se passait. Le renouveau était-il possible ?

Sentant que cela ne menait à rien et remarquant d’autres adversaires arriver, elle mit fin à ce qui pour elle n’avait aucun sens. Comme toujours un public s’était attroupé autour de la table. Chaque fois qu’elle jouait les spectatrices arrivaient. Agacement perpétuel la rongeant. En effet, Akira ne supportait pas toute cette foule pourtant silencieuse et encore moins être le sujet d’attention. Ne pouvant y échapper physiquement, son esprit s’évadait aussi loin que possible. Son regard était de glace.

Erelinn se laissait porter, une fois de plus. Une méduse sur les vagues, prête à piéger quiconque s’approche de trop près. Il y avait chez elle un magnétisme, un pouvoir d’attraction dont elle ignorait l’origine. Car à ses yeux, elle n’avait rien d’attirant. Pourtant, le nombre de prétendantes à son actif prouvait le contraire. A force de se laisser porter par les gens, l’inspiration aux aguets, la jeune femme aux yeux poison entra dans un bar singulier. Tout d’abord commun, il se faisait de plus en plus sombre au fil de ses pas. Une pièce à part se trouvait dans le fond. Décidément l’obscurité chatouillait sa curiosité bien plus que la lumière jaunâtre du bar à l’entrée.

Dans la pénombre, sa chevelure respirait tous les feux de l’Enfer. Une rivière de sang aux reflets d’or remontée d’un kanzashi raffiné, dont les breloques chantaient des mélodies asiatiques. Ses yeux curieux dont les longs cils noirs lapaient l’air examinaient chaque recoin avant de trouver une place, juste derrière un billard de bois ancien. Difficile de ne pas remarquer la foule autour de ce dernier.

Erelinn posa son carnet de cuir et son stylo plume sur sa table avant de s’asseoir. Il y avait un groupe de musiciens non-loin, assénant des notes résonnant avec sa mélancolie. Les paupières closes, se laissant imprégner par le flot musical ambiant, la parfumeuse cherchait à se fondre dans le lieu. Se couler dans l’atmosphère. Ainsi elle en tira quelques lignes sur son carnet. Les feuilles pressées à la main se retrouvèrent vite envahies de mots. Des mots qui se transformèrent en vers, pour enfanter une poésie à l’âme maudite.

*Ah Baudelaire, il aurait sans doute aimé cela. S’imprégner de la vie de cet endroit. Peut-être aurait-il posé quelques vers lui aussi*

Son regard mordoré réfléchissait la lumière tamisée. Cette faible lueur qui réveilla ses iris absinthe n’était pas due à l’éclairage cependant. Comme une idole sataniste qu’on admire et qui fascine, glaçante de beauté, une femme se tenait en face d’elle. Sans doute était-ce pour cette personne que la foule s’était organisée, muette. Erelinn sourit en constatant la peur dans leurs yeux pourtant jaloux. Jalouser était humain. Néanmoins la rousse trouvait cela ridicule. Ridicule de ne savoir passer au-dessus de sa condition. Après tout, elle avait bien plus d’exigences. Peut-être même trop pour ce monde. La dextérité de l’inconnue aux cheveux d’argent n’était plus à prouver après tant de duels, mais notre photographe n’en avait cure. Ce qui l’intéressait ici, c’était ce qui se trouvait dans les orbes givrées de la joueuse. Tirant sa traîne rougeoyante pour se lever, Erelinn posa une main sur son serre-taille noir, ses manches kimono décorées d’arabesques dorées découpant dans l’obscurité. Son appareil en main, elle captura l’instant discrètement. Le rendu était captivant. Enthousiasmée, son cœur omit un battement. Il y avait quelque chose. Quelque chose qui échappait aux spectateurs silencieux, mais pas à Miss Hummingbird. Délicatement, elle délaissa son appareil pour atteindre l’inconnue assommée de lassitude. Ses yeux de biche ornés d’eyeliner défiaient ceux de l’experte. Un instant hors du temps. Personne ne comprenait ce qui avait poussé Erelinn à avancer si près.
Dans le bar où la musique résonnait encore, une rencontre singulière fut amorcée.

« Pourquoi feindre l’échec quand on détient autant de talent ? La lassitude ? L’ennui ? Vous illuminez des flambeaux sataniques dans ce gouffre. Quel est donc votre nom ? »

D’apparence sortie d’une autre époque, Miss Hummingbird avait pour habitude de faire de la poésie de ses mots et de parer ses lèvres d’énigmatiques métaphores. L’ange déchu qu’elle venait de rencontrer saurait-il y répondre ? La peau blafarde des deux protagonistes réfléchissait le peu de lueurs présentes, les détachant du cadre, comme à des années lumières de la foule.  Deux astres gravitant avec élégance dans l’espace mystérieux et intemporel.

Enième victoire au goût amer, énième déception. Cependant quelque chose avait changé. Une douce anomalie dans l’air. Akira eut la sensation d’un regard sur elle. Non les regards habituels de la foule décérébrée. Un regard d’un tout autre genre. Une fragrance particulière était venue se mêler à la pestilence ambiante. Mystérieux, ce parfum se mouvait dans la pénombre. Akira avait repris place dans le vieux fauteuil en cuir, provoquant de nouveau nombre de volutes de fumée et s’abreuvant de son scotch.

La nuance mystérieuse qui avait retenu son attention se rapprochait. Inconnue sortit tout droit d’un sombre et délectable roman. Une chevelure flamboyante, des yeux étincelants. Son regard ne comportait aucune peur. Etait-ce de l’intrépidité ou simplement de la bêtise ? Akira ne put s’empêcher de détailler cette muse de l’ombre. Eveillant un sentiment devenu poussiéreux, de l’intérêt. Nul besoin de demander son retrait. Son intérêt se fit ressentir plus encore quand celle-ci prononça quelques mots. Ainsi donc quelqu’un avait remarqué. Quelle surprise délicieuse d’entendre une telle verve, une citation d’un chef d’œuvre dissimulé dans une simple phrase. Ainsi cette walkyrie s’abreuvait d’une sublime littérature.

Ce jour tant attendu était-il présent ? Akira ne pouvait détourner les yeux de cette intrigante venue. Elle ne put s’empêcher de plonger dans ces émeraudes qui la fixaient. Une lueur s’était allumée.

"Ainsi dont vous avez décelé cela ? Il est rare qu’une femme connaisseuse de cette sombre poésie pénètre dans ce vil cloaque. Je me prénomme Akira et à qui ai-je l’honneur ?"

La yankee tendit le bras en signe d’invitation à prendre place. Elle ne pouvait laisser repartir cette merveille. Une beauté asiatique  mais pas seulement. Elle était différente. Une différence impossible à ignorer. Une noirceur lumineuse se dégageait d’elle. Akira avait à présent un désir ardent d’entamer un dialogue avec elle. Sa curiosité était ranimée. Un ressenti qui depuis des années l’avait déserté.        

"Désirez-vous quelconque breuvage ?"

*Parle. Parle-moi encore. Délecte-moi de ta verve. Délecte-moi de cette poésie. Sublime ce lieu de tes dires. Ne déçoit pas ma curiosité.*

L’amazone avait à présent toute son attention ce qui était chose rare. Akira était habituée à côtoyer la bêtise ce qui provoquait une certaine lassitude. Pratiquement personne n’avait de sa part de la sollicitude. Attendant avec impatience, elle porta son verre à ses lèvres.

MUSIQUE

Ainsi la jeune femme qui rayonnait d’anthracite la fixait à présent, prise dans l’aura magnétique d’Erelinn. Cependant, la rousse l’ignorait. Elle préférait s’afférer à détailler du regard son interlocutrice. Un nœud de cravate bien trop évolué pour qu’il ne soit porté qu’à de rares occasions pensait-elle. Néanmoins le tatouage sur son bras gauche dénotait quelque peu avec sa tenue, rendant le tout plus décontracté, marginal.
La panthère lui disait quelque chose. En effet Miss Hummingbird avait longtemps arpenté les rues de Tokyo à la recherche de lieux insolites et la pègre ne lui étant pas étrangère, elle avait identifié le gang affilié à ce tatouage. Intéressant.

« Akira… » Répéta-t-elle pour elle-même, comme pour s’y habituer.

Pleine de galanterie, la yankee lui avait offert de s’asseoir à ses côtés. Ce qui intriguait notre parfumeuse restait ce décalage entre un probable passé de délinquante et ses manières nobles. Aussi, elle eût la délicatesse de ne point questionner Akira sur ce sujet.
Le regard empreint d’espoir qu’elles partageaient engageait Erelinn à lever le voile sur d’autres énigmes. Prenant le bras qui lui était tendu, la voyageuse prit place tout en répondant.

« Enchantée Akira. Et je vous en prie, point de rhétorique. Appelez-moi Miss Hummingbird, -XIII- ou encore Erelinn. Il semblerait que comme le Diable, mes patronymes soient légions. » Dit-elle en riant.

Correctement assise, relevant sa robe sur ses bas résille noir sur blanc, elle reprit leur échange ; le regard poison piquant l’iceberg qui lui faisait face. Un sourire délicat se dessinant sur son visage.

« Mh, de l’umeshu serait approprié me semble-t-il. J’avais oublié combien il est agréable d’être invitée par une personne d’esprit. Mes voyages m’ont marquée de multiples profils peu appétissants.» répondit-elle sur le ton de la plaisanterie.

Sa main partit à la recherche de son matériel délaissé plus tôt sur la table d’à côté. Une fois qu’elle le récupéra, Erelinn s’empressa de montrer la photo qu’elle avait subtilisée.

« Veuillez m’excuser, je vous ai photographiée dans ce moment particulier sans votre accord préalable. Mais comme vous pourrez le constater, la spontanéité  est un gage de résultat. Votre regard était si expressif à cet instant, si profond. Je l’effacerai si cela vous dérange. »

Il lui fallait être honnête. Peut-être ne pourrait-elle conserver cette photo, mais qu’importe. Après tout, la véritable Akira était bien là, plus fascinante animée qu’immortalisée dans l’image. Ses yeux de givre étaient rafraîchissants. La rousse s’était abandonnée en eux, si bien qu’elle finit par s’imaginer tirer sur cette cravate afin de rapprocher leurs enveloppes. Cette idée fut loin d’être déplaisante. Enfin, elle laissa glisser une gorgée d’umeshu dans sa bouche avant de chasser ses pensées délurées, le petit doigt levé sur son verre. Une vieille habitude qui lui menait la vie dure. Tout comme ses visions charnelles.

Erelinn tel était donc le nom de cette nouvelle énigme. Le sourire qu’elle afficha semblait sincère et Akira ne put se retenir de penser que cela lui sied à ravir. A la demande de celle-ci la yankee fit mander la serveuse qui apporta par la suite le breuvage ainsi qu’un verre d’absinthe. Elle remarqua le regard émeraude qui la détaillait. Quelles étaient donc les pensées qui en résultaient ? Cette demoiselle était donc une voyageuse ce qui n’étonnait guère.

"Erelinn… Vous me considérez comme une personne d’esprit ? Vous m’en voyez flattée. Une voyageuse donc ?"

L’amazone s’empara d’un appareil confessant son acte. Il avait bien semblé à Akira avoir détecté une intrusion bien qu’elle n’avait pu dire de quoi il s’agissait. Une photo lui avait donc était subtilisée. En d’autres circonstances la yankee aurait détruit l’appareil sans se poser de question. Mais à l’heure actuelle faire s’enfuir sa trouvaille n’était pas permit. Comme à son habitude elle ne transparaissait aucune émotion.

"C’était donc cela, je me demandais d’où provenait cette sensation. Je vous confesse qu’en d’autre circonstance j’aurais simplement anéanti votre appareil. Toutefois il me semble que vous méritez un bien meilleur accueil. Je ne peux décemment pas faire fuir mon invitée. Faites comme bon vous semble."

D’aucun aurait pu considérer ce geste comme de la sympathie mais venant de la yankee beaucoup savait que ce n’était pas le cas. Pourtant contrairement à son habitude elle n’était pas hostile à la présence de la jeune femme. Pour cause sa venue venait d’illuminer la soirée. Espérant que ce ne soit pas qu’un leurre et que cette amazone soit vraiment digne d’intérêt. Ceci serait aisé à vérifier.

"Cela pose-t-il un problème si je fume ?"

Il semblait à la yankee que ce fut une des très rares fois qu’elle demandait son avis à une personne avant de s’allumer une cigarette. Communément elle se fichait totalement du bon vouloir d’autrui. Elle ne quittait à aucun moment son interlocutrice des yeux. Le regard perçant, elle était bien décidée à élucider ce doux mystère.

"Que fait-donc une femme de votre rang dans un endroit pareil ?" demanda-t-elle dans un soupir de fumée.

De l’esprit, une tenue vestimentaire qui en disait long, une verve d’une grande qualité, cette femme ne pouvait décemment pas se situer dans la « norme ». Voir une tel splendeur en ces lieux relevait du miracle. D’un autre côté, au vu de ses penchants littéraires, sa présence n’était pas non plus une aberration.

La conversation ayant plutôt bien démarré, Erelinn entreprit d’étancher un peu plus sa soif avant de prendre la parole. Sa voix était posée, un brin provocante parfois, mais toujours inlassablement empreinte de dualité. Un combat entre ses plus brillantes ténèbres et ses plus pâles éclaircies. Si elle était une voyageuse ? On pouvait même dire qu’elle était DEVENUE le voyage. Son esprit la menait où bon lui semble, inventait des mondes où l’inattendu était toujours au rendez-vous. Ses pieds avaient foulé tant de terres, qu’à présent la parfumeuse flottait au gré du vent. Comme le colibri, elle défiait la gravité, allant de fleur en fleur, se délectant de nectars exotiques.

« Sans aucun doute vous en êtes une. Et le plus passionnant des voyages reste celui que l’on engage en soi. » Elle eût un sourire en coin.
« Tout comme je fais comme bon me semble pour cette photographie, faîtes donc à votre aise pour ce qui est de la cigarette. D’ailleurs, je me permets de fumer avec vous. »

Son regard s’arrêta un instant sur les murs couverts de velours noir et d’ébène.
Dans son sac se trouvait une pipe japonaise. Une antiquité à laquelle elle tenait énormément. Son père lui en avait fait cadeau. Chaque bouffée respirée au travers de cette merveille lui procurait un sentiment de nostalgie avec lequel elle devait composer. Délicatement, elle porta donc l’embout à ses lèvres, embrasant d’un geste expert le tabac à l’aide d’une modeste allumette. Sa première bouffée fut une délivrance.
La sulfureuse photographe avait tendance à s’apaiser bien plus qu’à son habitude lorsqu’elle fumait. Non pas qu’il y ait quoi que ce soit d’extraordinaire là-dedans, mais c’était devenu un rituel sacré dans son biorythme.

Remarquant le regard perçant presque défiant d’Akira, Erelinn sourit mystérieusement et répondit sur un ton subtilement aguicheur.

« Vous seriez étonnée des endroits qui m’ont été donné de côtoyer. Celui-ci n’est certainement pas le pire et votre compagnie adoucit le côté vulgaire des lieux. Avez-vous voyagé Akira ? »

Ses doigts fins tenaient son trésor avec élégance, de la même manière que ces femmes de l’ancien temps, qui s’endormaient avec l’opium. L’odeur de la yankee persistait derrière l’écran de fumée et leurs regards vaporeux s’échangeaient encore avec un magnétisme certain. Des entrelacs évanescents entamaient une ascension jusqu’au plafond tandis que la rousse détachait sa chevelure flamboyante en retirant son kanzashi. Un tintement se fit alors entendre, avant qu’elle ne pose l’ornement sur la table, juste sur son carnet de cuir.
La créatrice avait bien entendu remarqué non-loin de son bouquin la main décorée de bagues d’argent sous ses yeux. Une main de pianiste sans l’ombre d’un doute. De longs doigts fins et empreints d’assurance. Une main qui avait souffert, mais dont la peau semblait douce encore. Un détail : qui avait son importance. Ce dernier fit naître un certain désir chez Erelinn, bien qu’elle occultait cela. Peut-être son regard profond, ou son sourire légèrement satisfait à cet instant la trahissait.
Mais qu’importe. Il aurait fallu un décodeur à plus d’une pour saisir l’origine de son expression.

L’amazone venait de sortir une ancienne pipe japonaise. Akira ne connaissait que trop bien cet instrument, écartant le négatif, cela lui rappelait celle de sa mère. L’odeur si particulière que cela produisait avait sur elle des effets divergeant. A la fois familière et apaisante, à la fois mélancolique et funeste. Bien qu’une avalanche d’émotions se succédaient en son for intérieur elle restait de glace. La stature d’Erelinn n’en était que magnifiée et la yankee détecta une certaine aisance. Elle ne put s’empêcher de jeter un regard à ses lèvres lorsque la jeune femme porta son instrument à celles-ci. Regard si peu de fois attiré par ce genre de chose. Il y avait quelque chose d’envoutant chez elle et bien qu’Akira soit un véritable iceberg cela ne lui échappait pas.  Elle s’adressait à la yankee sur un ton plutôt charmeur. Et Akira ne put s’empêcher de lui retourner.

"Un voyage passionnant sans nul doute et dans certain cas dangereux. Ma présence est-elle si plaisante ? Ce n’est pas non plus le pire lieu que j’eus visité. Il m’est arrivé de voyager en effet mais je doute que ce soit pour les même raisons…"

Cette walkyrie avait une élégance sans pareil. Sa chevelure tombant en cascade sur ses épaules lui donnait un air sulfureux. Ténébreuse tentatrice qui sans le voir emportait Akira dans un autre monde. L’émeraude semblait laisser transparaitre un certain désir mais comment en être sûre ? Un parfum de séduction emplissait l’air. Sa peau pâle à la blancheur des cygnes s’illuminait à chaque bouffée qu’amorçait celle-ci. Une peau qui appelait aux caresses. Pensée que la yankee préférait fuir. Après tout c’était à cause de cela qu’elle s’était retrouvée aux portes du Styx. Ses nombreuses cicatrices la rappelant à l’ordre. Elle vida sans retenu l’absinthe de son verre. Douce brûlure ranimant la sensation  d’être en vie.

Sa curiosité grandissait, elle observait minutieusement chaque détail. Autant physique qu’intellectuel. Jusque-là elle n’était pas déçue, elle voulait en savoir plus. Toujours plus. D’où provenait ce magnétisme qui s’était emparé d’elle ? Où Erelinn était-elle en train de l’emporter ? Ce questionnement interne comblait la yankee. Enfin, enfin quelque chose d’intéressant. Enfin une personne qu’elle ne pouvait percer à jour en quelques minutes. Enfin un mystère qui ne trouvait pas de réponse. Cette beauté dangereuse provoquerait-elle des événements funestes semblables à ceux du passé ? Voulant observer plus encore, Akira murmura d’un ton de velours à la jeune femme.

"Et quelles furent donc vos destinations ? Je ne voudrais pas m’avancer mais en vous voyant je ne peux que penser que vous vous êtes plu sur des chemins que je qualifierais d’aventureux…"

Quelle serait sa réaction face à cette séduction dissimulée ? Akira désirait observer absolument toutes ses réactions, tous ses regards, tous ses sourires, tous ses gestes.

La jeune femme aux yeux poison avait infecté notre joueuse. Ainsi une certaine complicité, tout d’abord intellectuelle s’était mise en place. Le regard posé sur ses lèvres, Akira n’était pas vraiment passée inaperçue à l’œil exercé d’Erelinn, de même que son ton charmeur fort plaisant. Tandis qu’elle se perdait à détailler le col de sa chemise pour viser cette zone si particulière entre l’oreille et la clavicule, un bout d’un autre tatouage pointa son nez. Dans la pénombre il ne lui était pas apparu plus tôt. Intriguée, l’amazone laissa divaguer son esprit, imaginant ce qui pouvait être représenté sur son dos. Puis elle se reporta sur le visage de l’élégante femme, suspendue à ses lèvres qui se mouvaient, maniant les mots de manière attractive.

« Mais je veux qu’elle le soit. Et pour quelles obscures raisons avez-vous donc voyagé ? » Demanda-t-elle curieuse.

A cet instant, Miss Hummingbird avait envie de passer une main dans la chevelure argentée d’Akira. Peut-être même de les tirer un peu, pulsion de désir qui l’animait parfois si le jeu en valait la chandelle comme le dit si bien le dicton.

Soudain, le groupe changea pour un autre. (ICI) Une chanteuse se posta et commença à chanter, accompagnée d’une guitariste, puis le reste du groupe suivit. L’ambiance se faisait plus cubaine, latino, mais toujours insidieusement sombre, néanmoins sensuelle. Erelinn se laissa porter un instant, savourant en fermant les paupières, signe qu’elle se délectait de ce morceau. Pour sûr danser était tentant, mais elle n’allait tout de même pas demander à une personne qu’elle connaissait à peine d’être sa cavalière !
Aussi, le ton que prit Akira la grisa un moment, lui arrachant un sourire aguicheur et enjoué. Ses yeux brillaient de malice, une étoile les traversant, traînée d’or dans l’émeraude.

« Plus qu’aventureux, c’est bien le terme. Les bars le long du port en Ecosse étaient plus animés qu’ici. Les marins sont un peu rustres surtout imbibés, cependant on apprend beaucoup d’eux en les côtoyant. Non pas que j’affectionne la pêche, seulement la vie doit être faite de richesses immatérielles. J’ai préféré vivre au Japon quelques temps, proche de Kyoto. Là-bas, il y avait de quoi satisfaire mes plus subtiles fantaisies et ma soif d’adrénaline.  J’ai vu des tas d’autres paysages, mais le plus plaisant reste celui d’une personne qu’on aime auprès de nous à notre réveil. Alors à quoi bon prendre le large seule. »

Son souffle incandescent dessinait des dragons de fumée. Une fois qu’elle eût terminé, elle se redressa sur ses escarpins pour demander poliment : « Vous dansez ? » le regard défiant et provocateur.

Pour sûr, Erelinn dansait. De la salsa à la danse du ventre, de la poledance à la breakdance. Ses voyages avaient au moins eu de quoi l’enrichir en aptitudes. Cependant, sur de la latino cubaine, elle était sans doute la meilleure des danseuses à Eden. Aucune faille dans le regard qu’elle lançait impétueusement à Akira. Son assurance sur la piste de danse égalait celle qu’elle avait dans son travail. Son sourire mystérieux apportait une touche plus sensuelle encore à sa silhouette.
Mais bientôt elle craquerait sans doute, changeant de femme sage à femme charnelle. La preuve en était son geste finalement amorcé. Tenant la cravate noire dans sa main droite, Erelinn attira Akira jusqu’à elle, contre elle.
Juste ce qu’il fallait pour cette danse.

Aventureuse, Erelinn l’était assurément. Plus elle parlait plus son envoûtement était présent. Akira ne pouvait la quitter des yeux, fascinée. Ses sourires et ses regards n’étaient pas sans effet même si la yankee ne laissait rien transparaitre. Erelinn aimait donc flirter avec le danger. Cela laissait songeur. Combat à présent incessant afin de faire taire certaines pensées. Pourquoi avoir voyagé ? Était-il bon de lui révéler qu’il s’agissait de "travail" et la véritable nature de ce travail ? Sûrement la jeune femme s’en doutait-elle toutefois il était préférable de le taire.

"Pour affaire, rien de bien passionnant contrairement à vous."

L’ambiance changea peu à peu. Quelle sublime vision que de voir cette beauté se laisser porter par la musique. C’était un régal pour les yeux argentés d’Akira. Elle était des plus élégante et sensuelle. Suite au ton de la yankee celle-ci avait souri plus encore et ses yeux brillaient d’avantage. Un sourire en coin se dessina alors sur le visage du glacier. Ne quittant plus les lèvres de l’amazone lorsqu’elle parlait. Elle était donc allée en Ecosse. On ne pouvait pas dire que cela ramenait de bons souvenirs. L’Ecosse, les Biscraft, Isadora, les mauvais traitements. Les yeux argentés s’assombrirent quelque peu suite à cette annonce.

"L’Ecosse hein.. ? Ce qu’il faut y voir ce sont surtout les forêts et les champs. Eh bien, visiblement nous avons des destinations communes."

*Se réveiller avec quelqu’un que l’on aime… Est-ce seulement possible d’aimer véritablement sans fioriture, sans hypocrisie ?*

Erelinn se leva, elle voulait danser. Bien que n’affectionnant pas totalement la chose, la blonde ne pouvait refuser. Pouvoir en plus observer un tel spectacle, comment qui que ce soit pouvait refuser ?

Akira n’eut pas le temps de répondre que la sulfureuse beauté s’était emparée de sa cravate pour l’amener contre elle. Cherchait-elle son contact ? Si c’était cela elle serait servie. Sans défaillir, elle passa son bras autour de la fine taille de la demoiselle, posant sa main sur sa cambrure, la ramenant directement contre elle. L’emmenant alors sur la piste de danse.

Les cours imposés par sa mère quand elle était jeune avaient porté leurs fruits et elle était maintenant une plutôt bonne danseuse. Prenant les rennes, elle plongea directement dans les émeraudes étincelantes qui lui faisaient face. Une connexion mystérieuse s’était forgée, telle que leur danse semblait avoir été répétée maintes et maintes fois pour atteindre la perfection.

Le parfum d’Erelinn l’enivrait. Les autres couples à la vue de leur danse s’étaient écartés et admiraient le spectacle. Mais Akira ne le remarqua pas, il n’y avait qu’une seule chose qui retenait son attention. L’amazone l’avait emmené dans un tout autre monde. Sa sensualité était captivante. La faisant tourner, se retrouvant dans son dos, faisant passer ses mains sur ses hanches et sa cambrure, la ramenant face à elle. Elle ne put résister et à la fin de la musique Akira la fit basculer en arrière, remontant délicatement sa cuisse contre la sienne, caressant sa peau à travers ses bas-résilles. Elle la ramena contre elle, très proche d’elle, au point qu’elle frôla ses lèvres. Autour d’elles le public ne put contenir son admiration et des applaudissements firent revenir la yankee en ce monde.

Alors c’était ainsi ? Akira esquivait la confrontation, la confidence. Erelinn se mit à penser qu’elle devait faire partie de ces personnes trahies dans leur passé qui avaient donc du mal à faire confiance. Tout comme notre artiste. Elle ne pouvait décemment pas la blâmer de contourner la question.

« Rien de bien passionnant mh ? Permettez-moi d’en douter. Vous avez l’air d’être tout aussi aventureuse que moi. Avouez donc que vous avez l’âme vagabonde. Vous me faîtes penser à Satan d’une certaine manière. N’y voyez là aucune offense. J’ai de l’amour pour les ténèbres autant qu’elles en ont pour moi. »

Les terrains inexplorés, l’inconnu. Les tabous, les murmures de la nature. Tout se mêlait dans son esprit sous la lumière de la Lune. Un elixir de vie et de mort dans la même fiole, Erelinn était ainsi faite. Sa nouvelle connaissance avait une dimension de plus que le reste du monde. Quelque chose de plus profond, qui lui donnait l’air de sortir d’un film de Tim Burton, d’être un ange noir qui aurait été condamné à errer parmi les humains. Ses iris adamantium réfléchissaient l’éclairage du bar, transperçant comme deux lames les défenses de la belle rousse.
Après un sourire certes charmant, ces mêmes yeux devinrent plus obscurs, traduisant une douleur enfouie et muette l’espace d’un instant. La jeune photographe n’y était pas imperméable, cependant elle jugea que cela n’étant pas de son ressort, il lui fallait s’intéresser à d’autres sujets.

« Les forêts y sont belles et riches c’est vrai. Sans doute avons-nous prit des sentiers semblables sur certains points et aimons-nous les mêmes paysages. » Répondit-elle avec une nostalgie certaine.

Les deux femmes entamèrent peu après une danse endiablée, enveloppées dans leur monde flottant. Les musiciens jouèrent de plus belle, motivés en constatant que l’on appréciait leur morceau.
La main pleine d’assurance sur sa cambrure avait quelque chose de rassurant. C’était agréable, plaisant de pouvoir se reposer sur quelqu’un sachant mener de temps en temps. Presque enlacée contre le corps de la joueuse polyvalente. Le temps se figea alors, une alchimie se créant dans leur espace. Les gens s’étaient reculés, honteux de leur performance face à celle d’Erelinn et Akira.
Un frisson ardent, délicieux sentiment de chaud-froid s’empara du corps de la danseuse rousse lorsque la yankee passa ses mains sur ses hanches. Elle cambra d’un coup, son corps ondulant au gré du son, comme en transe. Leurs deux corps ne faisaient qu’un. La musique touchait à sa fin quand Akira décida dans un élan d’audace de ramener sa cuisse contre la sienne. Ses doigts s’étaient posés sur sa peau d’albâtre, caressant jusqu’au bas résille.
Lorsque la cavalière frôla ses lèvres des siennes, Erelinn fut charmée. Envoûtée par la bouche qui s’offrait à elle, elle en oublia le reste. Le chahut des spectatrices, la musique qui s’était stoppée.
Provocatrice par nature, elle n’hésita pas à caresser de ses lèvres celles de la louve argentée. Puis elle se ravisa, tenant la main qui était posée sur son corps pour guider sa partenaire de jeu jusqu’à leurs places respectives. Sans prononcer mot, elle se désaltéra d’une gorgée, finissant son verre d’alcool de prune. Puis la musique reprit, leur échange aussi. Satisfaite de cette folle danse enivrante, la femme aux yeux d’absinthe fixait la belle écossaise avec admiration et envie.

Soudainement, elle se souvint d’une légende qu’elle avait entendue en Ecosse et ne put s’empêcher d’en toucher un mot. La curiosité la piquant au plus haut point elle aborda Akira avec un ton plus décontracté qu’au départ. Signe qu’elle se sentait à l’aise en sa présence.

« Vous aurez sans doute entendu parler des ruines dans la forêt de Callander ? Il y avait un marin au port qui m’avait conté une légende à propos d’une famille…Comment s’appelait-elle déjà ?...Biscraft il me semble ! Il avait l’air effrayé en la racontant le pauvret. Néanmoins, j’eue la surprise d’entendre quelque chose d’intéressant pour une fois ! Une famille maudite, communiquant avec les astres et ayant la connaissance de l’occulte, dont chaque enfant aurait les cheveux blancs ou argentés. Il est dit que leur ancêtre commun était le premier Lycan sur Terre. Sur leurs armoiries était inscrit « Argentum Lupus ». Il disait que cette famille avait la faculté de prendre la forme d’un énorme loup argenté, supprimant quiconque ne respecterait pas la nature alentour ainsi que leur domaine. Cela m’est revenu en vous regardant après que vous ayez parlé de l’Ecosse. J’ai trouvé cette histoire tirée par les cheveux, cependant, le loup étant mon animal favori, je n’ai pas pu m’empêcher de fouiner à cette époque. Et je suis tombée sur ces fameuses armoiries. Seulement rien dans les archives ne stipulait la raison de cette inscription, ni la présence d’un loup géant. Contrairement aux autres armoiries qui ont chacune une explication logique rapportée. Intriguant n’est-ce pas ? »

Bien sûr qu’elle ne doutait pas une seconde qu’Akira soit de la famille Biscraft. Il n’y avait pas énormément de personnes cumulant des yeux clairs, des cheveux argentés naturels, une haute éducation et un langage allant de pair. Quelque chose l’intriguait chez cette femme et elle avait envie d’en savoir plus. Erelinn souhaitait connaître ses moindres expressions, sa gestuelle complète, ses habitudes, bonnes ou mauvaises et chacune de ses intonations.

Une comparaison forte intéressante venait d’être faite. Toute autre personne s’en serait vue offusquée. Mais c’était mal connaître Akira, au contraire celle-ci à ces mots eut un petit rire à peine perceptible. De plus elle avait également retenue le passage où l’amazone avouait avoir un penchant pour les ténèbres.

"Aventureuse… Peut-être bien, dit-elle un sourire en coin. Je n’y vois aucune offense ne vous inquiétez pas. Et pourquoi dont penser à ce prince en me voyant ?"

Aimer les mêmes paysages ? Si seulement les voyages de la yankee furent été pour les contempler. Hors les seuls paysages qu’elle avait vus étaient tachés de ruissellements pourpres. Morceaux de cadavres en putréfaction. A n’en point douter, admirer certaines contrées avec cette walkyrie à son bras serait fort plaisant. Etait-ce bien raisonnable de penser de la sorte ? Être accompagnée… Akira n’avait qu’une seule reine, la solitude, et à elle, elle était liée. Elle ne pouvait se soustraire à cette union. Elle avait déjà essayé sans relâche, mais cette dangereuse souveraine n’était pas encline à se taire.

Le corps de cette femme contre le sien, la musique, son parfum, Akira était comme hypnotisée. Cette peau qui même à travers des résilles était d’une douceur extrême l’appelait. Elle ramena la sulfureuse danseuse contre elle. Une chaleur étrange se fit sentir quand celle-ci caressa de ses lèvres les siennes. Cette dangereuse séductrice était en train de se frayer un chemin à travers la muraille de glace. Revenant ensuite à leurs places la rousse finit son verre. Akira fit donc signe à la serveuse qui les observait d’en apporter d’autres. S’allumant une énième cigarette, elle sentait ce regard émeraude qui ne la lâchait pas. La serveuse apporta les verres fixant jalousement l’amazone.

"J’ai pris la liberté d’en reprendre" dit-elle en levant son verre pour trinquer. Plongeant plus ardemment dans ses yeux.

Erelinn reprit la parole mais cette fois celle-ci piqua la yankee en plein cœur. Même dans un autre monde ses vieux démons ne la laisseraient pas en paix. Akira se figea, son regard devint beaucoup plus sombre. Et comme à chaque fois qu’une sensation forte se fait sentir, la véritable couleur de ses yeux ressortie. Combien de chances y avait-il pour que même dans ce monde quelqu’un eut vent de ces informations ? Malédiction, voilà ce que signifiait naître dans cette famille. Elle, avait eu de la chance étant née d’un père étranger. Le traitement pour les sangs purs était peut-être moins dur physiquement parlant, mais il était encore plus invivable car permanent. Habituellement de marbre, ce sujet était un des seuls sur lesquels Akira avait du mal à cacher son ressenti. De la haine, de la mélancolie, de la tristesse, de la souffrance. Son dos bien que tatoué portait toujours les cicatrices de ce passé sordide. En fuyant l’Ecosse elle avait abandonné une des personnes qui comptait le plus pour elle. De ce fait la culpabilité la rongeait. Son ton se fit funeste.

"J’ai connaissance de tout ceci en effet…"

Devait-elle dire la vérité ou se taire ? Le mensonge ne faisait guère parti de ses habitudes. Elle n’avait jamais abordé le sujet avec qui que soit. Etait-il prudent de l’aborder avec cette inconnue ? Après tout, celle-ci disait aimer les ténèbres. Mais, serait-elle véritablement prête à flirter avec ceux-ci ? Akira la sonda du regard. Si la rousse venait à en parler, personne ne la croirait. Ce pourrait être un sublime test. Akira saurait si celle-ci était vraiment digne d’intérêt. Reprenant une gorgée brûlante, elle reprit.

"Les enfants de Managarm ne sont pas une légende. Toutefois certains traits de l’histoire ont étaient déformés. Les premiers descendants, de ce que je sais, avaient il est vrai ce don. Mais c’était dans des temps immémoriaux. La lycanthropie n’est plus véritable. Il en reste des traces certes mais il n’y a plus de métamorphose. Tous les descendants possèdent il est vrai les cheveux de cette teinte. Il vous serez vain d’essayer de trouver quelques informations car les archives ont été détruites. Seules restent celles qui sont dissimulées au manoir. Il serait folie que de vouloir s’en emparer. La sentence étant des plus funestes. A moins que vous souhaitiez prononcer dès lors votre oraison funèbre."

Akira attendait, quelle serait la réaction de la jeune femme ? Quelle expression aurait-elle ? Quel sentiment ses yeux trahiraient-ils ?

Erelinn n’avait pas répondu précédemment à la question d’Akira concernant la ressemblance qu’elle lui trouvait avec l’Ange du Jugement. Il était plus sage de ne pas chanter ses louanges si tôt. Parfois le cœur se délecte plus des silences que des paroles.

La sulfureuse n’avait pas dit son dernier mot à ce sujet et ce n’était que partie remise. Aussi, si dans leur échange d’un autre univers elles étaient vouées à se livrer sur leurs visions respectives d’elles-mêmes et de leur passé, il leur faudrait toutes deux bien plus d’une soirée et cette perspective plaisait assez à l’amazone. Se revoir pourrait mener à bien des chemins escarpés et cela ne la refroidissait pas le moins du monde. Néanmoins, la part fleur bleue qui subsistait tant bien que mal en elle se demandait quel genre d’endroits la séduisante louve pouvait fréquenter. Elle ne voulait pas faire de gaffe en l’invitant dans un lieu qui ne lui correspondrait pas. Mais elle espérait secrètement qu’elles seraient sur la même longueur d’onde, aimant à flâner dans la nature et dans nombre de lieux insolites.

Trinquant à leur rencontre, le regard profond et intense à travers celui de sa partenaire de danse, Erelinn ne put s’empêcher de remarquer un changement soudain. Akira avait l’air grave, comme si quelque chose dans ce qu’elle venait d’entendre avait réveillé une vieille blessure de guerre. Malgré cette expression affectée, elle n’en restait pas moins magnétique. Ses iris se ravivèrent de couleurs bien que plus sombres. Des yeux vairons. Un détail qui n’échappa pas à notre artiste, toujours attentive à son interlocutrice. Sphères éthérée qui réveillaient les émeraudes de Miss Hummingbird.
Ainsi l’ancienne yankee avait décidé de parler. Parler véritablement et sans détour, sans tourner autour et se parer d’atours. Bonne décision.

L’oreille toujours à l’affût des fluctuations d’intonations, Erelinn sourit, énigmatique et imprévisible dans l’étendue de sa prédictibilité. Après tout, n’était-elle pas un paradoxe ? L’allégorie même du Verseau qui atteignait le point culminant de dualité.

« Tout cela est proche de ce que je pensais. Ainsi du sang Biscraft coule dans vos veines ? » Dit-elle sans aucune surprise.

«  Rien d’étonnant à ce que vous soyez empreinte de tant d’assurance, d’arrogance dissimulée ou non et de pourtant, tant de galanterie et d’esprit. Je ne tiens pas à fouiller dans de fumantes affaires qui auraient vite fait de me transformer moi aussi en dossier poussiéreux bien qu’intéressant. Je ne crains rien depuis le décès de mon père car je n’ai rien à perdre. Cependant, j’ai mieux à faire. Vous êtes un dossier bien plus énigmatique à mes yeux et avoir le privilège de vous parcourir serait plus enthousiasmant.» lança-t-elle d’un ton bas et provocateur.

Elle lui rappelait avec délicatesse que la seule chose qui éveillait son intérêt à cet instant était sa personne, là juste en face, le regard brut et vif comme deux diamants. Sa soif ne s’étancherait probablement pas avant plusieurs rendez-vous bien entendu.
Malgré le sujet épineux, l’amazone n’en restait pas moins détendue, sachant être un adversaire comme un allié, alternant les rôles tout en gardant assez d’écart entre elles pour ne pas se faire manger. Parler d’elle lui évitait par la même occasion de s’étaler.
Chose inévitable si elles souhaitaient se voir par la suite mais Erelinn n’était pas pressée. Certaines choses étaient mieux à leur place, à prendre la poussière comme de vulgaires bibelots sur les étagères de son existence. Son cortex cérébral regorgeait de souvenirs douloureux et fiévreux, enfermés à double tour dans des tiroirs dont elle gardait les clés malgré elle.

Son regard ambré toujours posé sur la désinvolte, de nouveau suspendue à ses lèvres elle attendait de nouvelles informations à décortiquer tout en savourant le sublime visage qui s’offrait à sa vision.

Un doux sourire, là était la réaction de cette belle amazone. Tendre satisfaction, elle était donc la perle tant recherchée. Il n’y avait aucune hypocrisie dans ses réactions. Emeraudes envoutantes aussi profondes que les abysses. Comme il serait doux de s’y noyer. Elle ne mentait pas, aucune peur, aucun sentiment négatif n’était présent. Erelinn avait tout compris, elle savait.

"Vous avez vu juste, je porte en effet cette malédiction… N’en ressentez-vous point de peur ?" Répondit-elle en ingurgitant une autre gorgée d’absinthe.

Elle n’avait nullement l’intention de chercher ces écrits. Sage décision. La rousse n’en avait cure, ce qui l’intéressait, c’était Akira. La yankee se détendit à ces mots et esquissa un sourire. Cette jeune femme avait elle aussi perdu son père et au vu de ses dires il n’y avait pas de mère. Bien que ce point leur soit commun, certains sujets ne sont pas forcément bons à faire remonter. La parcourir ? Akira ne put retenir de nouveau un petit sourire. L’idée de parcourir cette femme n’avait rien de déplaisant bien au contraire. Cela éveillait même une certaine ardeur chez la louve. C’est pourquoi elle ne put retenir un ton plus que charmeur.

"Je serais moi-même enchantée de pouvoir parcourir une femme tel que vous…"

Elle avait suivi sa métaphore tout en y induisant une réponse osée. Les yeux de la louve seraient-ils comblés ? Une teinte rosée apparaitrait-elle sur les joues pâles de son interlocutrice ?  Quand bien même ce ne serait pas le cas, elle trouverait un moyen de satisfaire ce désir. Akira savait pertinemment qu’elle prenait de nouveau des risques mais elle ne pouvait s’en empêcher. Là, à cet instant, elle voulait tout connaître de la jeune femme. Absolument tout. Rechercher et imprimer chacun de ses détails. Pensée fiévreuse persistante. Si elle s’écoutait elle s’emparerait de ses lèvres dans un baiser brûlant. Elle aurait parcouru cette peau blafarde sans retenue. Non, il ne fallait pas. Cette femme méritait tellement plus. Et si une fois découverte tout l’intérêt qu’elle avait s’envolait ? Une pensée bien désagréable. Erelinn avait réveillé tant de choses il était hors de question que tout se brise. Chassant ses pensées Akira fit courir ses doigts sur la table arrivant au carnet de cuir posé sur celle-ci.

"Vous écrivez ?"

Connaissant son genre de lecture, son écriture serait-elle tout aussi plaisante ? Au vu de sa verve Akira se doutait qu’elle ne serait une fois de plus pas déçue. Elle était glace mais au fil de la soirée elle s’adoucissait quelques peu. Pas de manière exponentielle bien sûr mais semble-t-il juste ce qu’il fallait. Elle caressait le cuir du carnet, repensant à cette peau effleurée plus tôt.

De la peur ? Comment aurait-elle pu en ressentir ? Elle avait été déchue de son innocence certes, suite aux sévices que sa mère lui faisait subir. Cependant connaître la nature humaine avait cessé de l’effrayer depuis de nombreuses années déjà. La damnée qu’elle s’était faîte seule ne reculait devant aucun de ses caprices, à corps perdu dans le vide. Depuis la perte de son créateur, elle n’était plus qu’un monstre en mal d’émotions fortes.

Ainsi elle avait débuté une quête incessante. Il lui fallait une piqure d’adrénaline pour se sentir vivre encore. Erelinn aurait sans doute le cran de relever tous les défis si elle y trouvait un intérêt quelconque. Akira représentait un défi de taille, mais ce n’était plus un jeu depuis déjà plusieurs heures. Il y avait un lien teinté de rouge entre elles. Un fil presque imperceptible, éthéré. Pourtant il les reliait avec la force d’une union cosmique. Comme prises dans la même gravité. Leur inconscient le captait, ce n’était qu’une affaire de temps pour qu’elles ne s’en rendent compte.
La gorgée d’absinthe que l’Ange avalait appela Erelinn à en faire de même. Ses doigts délicats se posèrent avec force et confiance sur son verre.

« Ressentir de la peur ? Navrée pour vous et aussi pour ma propre personne, la peur chez moi ne me traverse que d’éphémères instants et ce, seulement lorsque je la recherche avec ardeur. Nous avons tous notre malédiction. Ou du moins quelque chose qui donne la sensation d’avoir été caressé par le Diable ou frappé par Dieu. Dommage que je sois contre la religion de surcroît. » Plaisanta-t-elle finalement.

Son rire discret et vivant marquait les murs de velours. Rien ne pourrait la faire changer d’avis là-dessus. Les religions, à l’exception peut-être du bouddhisme et quelques marginaux du milieu ; étaient une perte de la pensée personnelle, un asservissement intellectuel et un énorme mensonge destiné aux peureux et aux égarés. La jeune parfumeuse savait parfaitement où elle allait et ce que devenait un corps inanimé. Les Dieux, s’ils existaient, n’avaient que faire des prières et avaient mieux à faire que de s’occuper des petits embarras de chacun.
Qu’est-ce qu’un grain de sable dans le Sahara ? Une molécule insignifiante face aux géants de ce monde. Bien que constituant de cet univers, ne comptait ici et ailleurs que la pensée commune, ce qu’on instaure dans nos esprits à notre insu dès le plus jeune âge.

Erelinn n’avait pas le sens des conventions bien que l’ayant appris. C’était pour cette même raison qu’elle ne l’appliquait pas. Etre un mouton n’était pas digne de son esprit aiguisé. Il lui fallait être le loup dans la bergerie quitte à réveiller les chasseurs. Un trait de sa personnalité qu’elle dévoilait volontiers à Akira, qui lui apparaissait être une misanthrope tout comme elle. Un sourire enjoué apparu sur son visage pâle lorsque sa yankee favorite se mit à lui renvoyer la perche sur le même ton. Ses joues étaient plus chaudes qu’au départ. Sans doute l’alcool couplé à la séduction. Une teinte très légère, délicatement rosée s’était emparée de ses pommettes.

« Oserai-je seulement vous laisser l’accès à cette bibliothèque ? » rétorqua-t-elle l’air digne et le regard enclin au duel.

Une joute verbale ? Et bien Erelinn répondait présente à toutes fantaisies. Joueuse, se complaisant face aux flammes, elle ajouta un petit mordillement significatif, sur sa lèvre inférieure, les yeux braqués sur son interlocutrice, attisant son propre désir par la même occasion. Qui finirait brûlée en première ?

Une chose était certaine, la belle à la chevelure phénix se voyait très bien à la place de son carnet, juste là, sous la pulpe des doigts de la séduisante louve. Si elle écrivait ? Pour sûr. Tout un tas de vers, des histoires inachevées, des monceaux de dentelles ajourées tissés dans ces moments d’émerveillement, où elle se nourrissait de l’essence des autres, de la nature. Sa main alla à la rencontre de la sienne pour ouvrir le carnet et le ramener devant son visage, récitant d’une voix douce mettant son cœur dans les intonations.

« Mon âme est soufflée dans mes soupirs, sauriez-vous la trouver ?
Chère amie, je ne puis tenir ainsi. Le temps emporte ses échafaudages et rapporte mon cœur à l’échafaud, sauriez-vous le stopper ?
Aussi fragile qu’une larme, instant suspendu. Mille drames, et des océans que je puis pleurer, rongent de leur sel mes pensées.
Chère amie, sauriez-vous m’en éloigner ?
La main n’est plus leste sur les damages ; viens, explore mes rouages ; car elle ne frappe plus que le papier, des morceaux épars et froissés entourant mon corps glacé.
Chère amie quand viendriez-vous, de mes fantasmes à ma fenêtre ?
Montrez-vous et répandez le printemps, réconfortez l’hiver et figez ma mélancolie.
Chère amie, sauriez-vous clore ma tragédie ?
-Miss Hummingbird. »
Fermant le carnet elle enchaîna sur un air détaché.

« Ce sera tout pour cette fois, un minuscule aperçu car c’est loin d’être le plus prometteur de mes textes. Excusez donc ma piètre performance, j’ai tendance à garder le meilleur pour la fin. » Ajouta-t-elle avec un sourire mystérieux.

Sur ces mots elle attendait de connaître l’avis de la joueuse de billard. Elle devait aussi avoir l’âme d’une artiste, ce qui rendait les choses plus attrayantes que si elle l’avait partagé avec une autre femme de ce bar. Sa main descendit sous la table, froissant le bas de sa robe sur ses cuisses quelque peu stressée.
Une appréhension, bien que légère. Erelinn tenait à ne pas décevoir Akira, car elle savait que perdre son intérêt la replongerait dans l’errance. Trouver un esprit à la hauteur du sien n’était pas courant ou tâche facile.
Mais son esprit était-il à la hauteur de la femme aux cheveux argentés ?

Elle n’avait donc aucune peur. Elle aimait flirter avec. L’amazone disait vrai, nous portons tous une malédiction, certaines étaient plus lourdes que d’autres. Quelle était donc celle qui pesait sur cette sombre beauté ? Pas de religion, les points communs des deux femmes ne cessaient d’augmenter. Akira considérait cela comme une aberration créée par l’Homme. Tous ces boniments la rebutaient au plus haut point.

"Cela ne vous en rend que plus intéressante… dit-elle toujours aussi charmeuse. Un énième point commun."

Somptueuse vision, ainsi le désir d’Akira était comblé. Un charmant sourire était venu illuminer le visage d’Erelinn suivit de cette superbe teinte rosée. La louve était plus que comblée dans son for intérieur. Cela ne fit qu’augmenter son désir. Revoir cette teinte sur ses pommettes, encore et encore. Magnifique addiction dont elle venait de prendre la première dose. La question posée par la suite n’en fut que plus attractive ainsi que le mordillement qui traduisait une certaine envie. Une fièvre intense était en train de naître au fin fond du glacier.

"Il n’y a que vous pour répondre à cette question Mylady." répondit-elle dans un murmure.

Un doux contact furtif, n’arrangea pas les choses. La suite fût encore plus délectable, la sulfureuse récita élégamment un texte écrit par ses soins. Sublime poésie funeste résonnant à l’oreille de la yankee. L’art de Baudelaire était bien présent de ces écrits. Akira eut alors un sourire tendre. Rare était cette expression sur son visage. Erelinn se sous-estimait et afficha une attitude trahissant une certaine appréhension. Elle était exquise.

"Ne vous sous-estimez pas de la sorte, vous m’honorez en me lisant votre création. Vous comblez mon ouïe. Cela fait bien longtemps que je n’avais pas été charmée de la sorte par une telle verve"

L’art de l’amazone  était une tendre musique à l’oreille d’Akira. La yankee se sentit quelque peu coupable. Erelinn venait de se soumettre à son jugement en lui présentant son art. Ce n’était pas très égal de son point de vue. Sentiment qui l’agaça quelque peu. Il était hors de question qu’elles ne soient pas sur un pied d’égalité. Akira devait se soumettre également à son jugement.

"Permettez-moi de vous rendre la pareille…"

Elle fit alors signe à l’un des musiciens. Celui-ci comprit de suite de quoi il s’agissait et lui apporta l’objet de son désir. Le silence régna dans la salle. La louve sortit délicatement le précieux instrument et le porta à son épaule. Fixant son interlocutrice. Elle entama alors un solo de violon qu’elle pensait convenir tout à fait à Miss Hummingbird. (ICI). Celle-ci apprécierait-elle le geste ? Akira plongeait ses yeux dans les siens tout en jouant avant de se faire emporter par sa propre musique les fermant avec passion. Toute la salle était captivée. Rares étaient les fois où la louve avait acceptée de faire partager son art.

Intéressante ? Ainsi elle éveillait sa curiosité ? Bien. Elle n’ajouta mot, car ses silences en disaient souvent plus long. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque la séduisante joueuse la piqua d’une autre provocation…Cependant elle préféra ne rien laisser transparaitre, en ayant montré déjà plus qu’elle ne le faisait en temps normal.

Après cette collision exquise de leurs deux mains sur la table, une récitation digne d’un grand orateur ou d’un esthète, le stress s’était installé dans le cœur d’Erelinn, si bien qu’elle l’exprimait physiquement en tortillant le tissu de sa robe. Elle avait pourtant remarqué le sourire de sa spectatrice.

Il y avait aussi une certaine frustration face à leur discours échangé, quelque chose de plus insidieux et sombre. Des désirs inassouvis depuis un moment. Habituellement elle aurait assouvi ses désirs avec quiconque aurait été prête à signer le contrat stipulant « one night stand ».
Malgré cela elle était immaculée depuis son arrivée sur Eden, préférant s’adonner à d’autres activités. Après tout, il y avait tant de flore sur cette planète ! La rousse se devait de découvrir les senteurs nouvelles qui signeraient ses futures fragrances. Sans compter les recherches qu’elle devait encore faire à la bibliothèque, afin d’en savoir le plus possible sur l’origine de cet eden de femmes, ainsi que sur les lois qui régissaient le territoire. Car comme toute artiste, elle tenait à faire découvrir au peuple présent ses créations.
Mais en tant que femme d’affaires elle se devait de faire prospérer son entreprise en ciblant les demandes, les goûts de chacun. Pour faire tourner l’affaire Erelinn devait être dans la légalité la plus totale. En y repensant, elle eut le regard absent quelques secondes avant de s’accrocher aux paroles encourageantes d’Akira.
Un sourire sincère et plus large qu’à son habitude étira ses lèvres.

« Merci, cela me touche vraiment. Heureuse de savoir que mon don d’éloquence vous satisfait ! »

La silhouette élancée d’Akira se redressa de sa chaise alors, la jeune femme ayant formulé son souhait de lui rendre la pareille. Curieuse et attentive, l’amazone laissa donc le tableau prendre forme. Un violon donc ? La japonaise jouait du violon.

Enfin, quand elle commença à jouer, il apparut à Erelinn qu’Akira faisait plutôt corps avec l’instrument. Le regard transperçant son âme à cet instant était renvoyé avec passion à son envoyeuse. Elle ne savait pas bien qui possédait qui dans ce délicieux intermède. Le spectacle qu’elle lui offrait était intense et presque empreint de magie. Une magie noire et charnelle.

Fermant finalement les paupières pour mieux s’imprégner du son, Erelinn se souvenait avec nostalgie les danses d’un autre monde dont elle s’enivrait la nuit, vêtue de lingerie fine. Car dans ses moments d’intimité, l’artiste laissait s’exprimer tout son potentiel sensuel, une soupape de décompression efficace qui avait comme double vocation de pimenter sa vie sexuelle par la suite.
Lorsque Akira eût terminé, elle ne put se retenir de la saluer avec un sourire sincère, applaudissant avec allégresse. La mélodie délicate et paradoxalement endiablée avait éveillé en elle des choses enfouies, parmi les plus intenses de son existence. Mais pour une fois, de bons souvenirs.
A l’affût de la moindre réaction, attentive au langage corporel tout autant qu’à ses paroles, Erelinn prenait le temps de se plonger dans l’âme d’Akira.

« C’était, comment dire j’en perds les mots…transcendant ? L’instrument vous sied à ravir. Vous me voyez flattée et comblée de votre performance. Je serai heureuse d’avoir d’autres échanges intellectuels et artistiques avec vous… » Dit-elle en laissant suggérer un prochain rendez-vous.

Elle désirait sonder ses plus profonds abysses quitte à manquer d’oxygène arrivée au fond. Rien ne bloquerait sa route, elle en avait décidé ainsi.
Et comme je vous l’ai conté plus tôt, aucune porte ne résiste à cette belle kitsune.

La belle amazone avait eu une certaine absence ce qui intrigua Akira. Quelles pensées pouvaient bien s’emparer d’elle ? Elle eut ensuite un charmant sourire dû aux dire de la yankee. La remerciant, elle semblait soulagée, l’avis de la louve lui importait donc véritablement.

"Et il fait plus que me satisfaire…"

En effet, pour la première fois depuis des décennies se présentait enfin une personne avec qui la conversation n’était point fatigante. Au contraire, c’était des plus passionnants. Miss Hummingbird l’ignorait mais sa présence avait réveillé bien des émotions. Des émotions, de véritables émotions. Le glacier n’avait rien ressentit véritablement depuis fort longtemps. Son sourire était une bouffée d’air frais, une douce brise printanière dans le sombre hiver qui régnait sur Akira. Elle était semblable à un somptueux lever de soleil, l’aurore même. Ses couleurs, son parfum, ses yeux. Aventureuse, sulfureuse, elle était le feu. Les applaudissements qui suivirent la prestation de la musicienne la comblaient. Non pas ceux de la foule, ceux-ci elle n’en avait cure, mais ceux d’Erelinn. La rousse avait apprécié la mélodie.

"Je vous remercie de cette foule de compliments. J’en serais moi-même plus que ravie."

Revoir Erelinn, elle le désirait ardemment. Et visiblement la jeune femme le souhaitait aussi. La louve sourit plus encore en pensant à cela. Les heures défilaient sans qu’aucune lassitude ne vienne pointer le bout de son nez. Plus elles conversaient plus Akira se sentait légère. Le temps avait suspendu son cours.
Une intrusion se fit cependant. Une jeune femme qui venait pratiquement tous les soirs défier Akira s’approcha.

"Kiryu-sama… ? Je m’excuse de vous déranger…"

Celle-ci regardait d’une manière insultante Erelinn, ce qui n’échappa nullement à la yankee qui ne lui laissa pas finir sa phrase. Se levant d’un coup, menaçante. Comment cette simple humaine se permettait-elle d’interrompre ce moment ? La Yakuza qu’elle fut ressortit immédiatement.

"Ce n’est pas à vous de vous excuser vous-même. Comment pouvez-vous avoir l’audace de venir nous déranger ? Je vous incite fortement à vous retirer prestement. Vous ne voudriez tout de même pas risquer que je m’emporte ?"

Après ces quelques mots, la Yakuza murmura quelque chose à l’oreille de l’intruse. Celle-ci eut alors un regard de terreur, s’inclina devant Akira avant d’aller présenter ses excuses à Miss Hummingbird et de partir en courant. Chasser les vieilles habitudes elles reviennent au galop. Difficile de faire fuir un passé de Yakuza. La fureur régnait dans son regard bicolore. Elle revint alors auprès d’Erelinn.

"Veuillez pardonner tout ceci. Les gens sont sans vergogne et se croient autorisés à tout. Il se fait tard, la fermeture approche. Me feriez-vous l’honneur d’être votre escorte Mylady ?" Dit-elle en s’inclinant le bras gauche plié dans son dos, le droit tendu vers la rousse.

Akira s’en voulait. Et si cet incident avait refroidit sa perle ? Tout serait fichu à cause de son impulsivité. Intérieurement elle priait pour que l’amazone ne fuie pas. Avait-elle tout gâché ?  D’un autre côté était-il bon d’essayer de se rapprocher d’une personne qui ne pourrait accepter cette part d’elle ?

Erelinn afficha un sourire lorsqu’elle entendit la réponse d’Akira. Un sourire partagé.
Cette dernière désirait aussi qu’elles se revoient par la suite. Cette simple perspective emplissait le cœur de la rousse de douceur. Quand une inconnue fit irruption dans leur forteresse.

D’abord gênée et ne sachant quoi faire, la photographe s’était tue, immobile, le regard rivé sur la table attendant simplement qu’elle s’en aille. Néanmoins l’entrée de cette arriviste lui avait permis d’identifier le nom de famille de la violoniste.

Kiryu. Sans doute avec le kanji de « dragon » pensait-elle. Étonnamment la suite des événements fut très différente de ce qu’imaginait Erelinn. Levant timidement les yeux elle constata la scène.
L’air hostile qu’avait Akira la surprit, après tout cette fille devait la connaître, pourquoi soufflait-il un vent inverse dans leur confrontation ?
Mais à l’instant où la renarde se questionna, elle remarqua la façon dont la vulgaire opportuniste la dévisageait.
De toute évidence, cette personne n’avait jamais eu d’éducation ou d’initiation au respect et bon sens. Embarrassée par ce comportement elle n’eût pas le temps de réagir que déjà la japonaise aux cheveux d’ange se changea en lycan d’argent. La parfumeuse pouvait voir son appartenance aux Biscraft sans effort. La façon sèche de s’exprimer qu’elle prenait, était peut-être intimidante mais Erelinn n’avait pas peur.

En réalité elle était plutôt contente qu’Akira prenne sa défense de manière détournée et se sentait protégée. Cette inconnue n’avait plus qu’à rebrousser chemin en vitesse ! En bonne âme la femme aux iris absinthe accepta l’excuse de la connaissance de « Kiryu-sama », tout en gardant à l’esprit une certaine amertume. Bien entendu elle se demandait ce que cette dernière avait pu glisser à l’oreille de sa victime mais qu’importe ! Tant qu’elle détalait loin, elle aurait bien pu dire ce qu’elle voulait. Le regard troublé rencontra celui encore furieux de la yankee. Devait-elle se sentir flattée qu’elle ne veuille laisser personne les interrompre ?

La fermeture approchant, le bar se vidait peu à peu. Il fallait rentrer, mais Erelinn était un colibri nocturne, un renard qui s’adonnait au vagabondage dans les ténèbres. Pour sûr elle n’allait pas se presser sous les lampadaires. Elle traînerait la patte, comme toujours. A quoi bon rejoindre rapidement son lit puisqu’elle était insomniaque ? Une invitation comme celle qu’Akira lui faisait ne se refusait pas. Rien n’avait changé dans la manière dont elle la percevait. Au fond, la femme à la chevelure flamboyante savait depuis le début que cette eau calme cachait de puissants courants. Et face à un tsunami, elle n’aurait pas cillé. Remettant son kanzashi dans ses cheveux soyeux, la photographe se leva.
Dans un geste élégant elle déposa sa main blanche dans celle de la violoniste, faisant retomber le bas de sa robe jusqu’alors remonté à ses cuisses sur ses chevilles.

« Honneur accordé. Où comptez-vous donc m’escorter Kiryu-sama ? »

Elle avait prononcé ces derniers mots sur un ton légèrement moqueur, visant l’inconnue arrivée plus tôt. Cela marquait l’ennui que cette intruse avait provoqué en Erelinn. Du même fait, elle pointait du doigt une chose : elle aussi tenait à ne pas être interrompue lorsqu’elles partageaient un peu de leur temps. Plus rien ne comptait depuis leur rencontre, hormis en savoir plus l’une sur l’autre. Les escarpins noirs cloutés à l’arrière frappaient le sol de leurs talons aiguilles afin d’atteindre la sortie. Son attirail dans un sac qu’elle tenait à porter elle-même. Où iraient-elles à présent ? Akira voudrait-elle rentrer directement ? L’inviterait-elle autre part ? Préfèrerait-elle la ramener devant sa chambre dans la résidence ou bien partagerait-elle son appartement ? Délicat pour une première rencontre, de savoir quelle décision prendre. Erelinn avait hâte de jauger l’audace d’Akira.

Akira avait chassé l’intruse et l’avait terrifié au plus haut point. De plus, l’amazone avait été visiblement gênée de cette interruption ce qui avait aggravé la colère de la Yakuza. Une fois le problème réglé il était temps de partir. Akira avait donc solennellement proposé à la jeune femme d’être son escorte. Pour son plus grand bonheur celle-ci avait accepté. Rien n’avait changé. La beauté aux yeux émeraude n’avait pas été rebutée par cette soudaine violence. Au fond d’elle, la louve était plus que soulagée. Délicatement Erelinn avait déposé sa fine main dans la sienne. Un contact des plus exquis. Une pointe d’humour aux lèvres elle avait appelé Akira par son nom de famille.

"Vous m’en voyez ravie. Je vous en prie, ne m’appelez point ainsi. Je ne vous suis aucunement supérieure…  répondit-elle doucement, Je me ferais votre escorte où il vous plaira Miss."

Miss Hummingbird était pour elle comme son égale. Il était hors de question qu’elles ne le soient pas. Elle ne pouvait donc pas accepter qu’elle l’appelle ainsi. De plus, cela mettait une sorte de distance et il en était hors de question. Akira souhaitait rester auprès d’elle, du moins jusqu’au moment où la jeune femme désirerait rentrer. Sa fièvre était toujours présente mais l’idée de réaliser le même schéma que dans le passé était une horreur. Erelinn était une Lady, un tel comportement ne serait pas digne d’elle. Inconsciemment elle ne désirait point être séparée d’elle. Elle l’aurait accompagné au bout du monde si celle-ci en avait exprimé l’envie. Avec légèreté, elle avait amené la main de la rousse à s’agripper à son bras. Une tendre sensation. De plus, pour une fois Akira n’avait pas l’impression d’être « géante ». Erelinn avait une taille mannequin ce qui la ravissait, elle pouvait se plonger dans ses yeux s’en avoir besoin de se rompre le dos. Voyant la jeune femme tenir ses affaires fermement elle ne put se résoudre à ne pas au moins lui poser la question.

*Décidément elle est parfaite*

"Ne souhaiteriez-vous pas que je prenne vos effets ?"

Elles se dirigèrent vers la sortie. La Yakuza ayant déjà tout réglé préalablement. Elle lui tint la porte, gentleman jusqu’au bout. Arrivées dans la rue, elle tourna la tête vers la lady. Elle aurait voulu que cette soirée n’ait jamais de fin. Il faisait nuit depuis longtemps, les étoiles illuminaient le ciel. La Lune brillait de toute sa splendeur se réfléchissant sur la peau blanche de la louve. Sa lumière permettait également la vision distincte de ses yeux vairons. Avec un sourire léger elle s’adressa à Erelinn dans un murmure. Sa colère s’était dissipée. Chose rare car lorsque sa fureur prenait le dessus elle ne contrôlait plus rien. Il lui fallait habituellement des heures avant de retrouver sa sérénité. La sulfureuse avait un effet des plus étranges sur elle. Son simple sourire avait annihilé son courroux.

"Quelle sera donc notre destination ?"

Priant intérieurement que ce fusse très éloigné afin de profiter encore de sa tendre présence. Cette nouvelle drogue avait trouvé son addicte. Toutes les désintoxications du monde ne pourraient en avoir raison.

La grande femme aux yeux vairons semblait légèrement gênée par la plaisanterie de la renarde.

« Oh mais je ne vous l’aurais pas permis. Les personnes prétentieuses et pédantes ne m’attirent pas le moins du monde. Cependant, il semblerait plutôt que vous soyez victime de votre succès. Alors escortez-moi donc jusqu’à ma porte de chambre si le cœur vous en dit. » Proposa-t-elle en souriant.

Heureuse de constater qu’Akira se souciait de la débarrasser de ses affaires, elle refusa cependant en exécutant un simple non de la tête, lui souriant paisiblement. La femme à la crinière de feu avait noté la galanterie dont sa camarade faisait preuve. Les verres avaient été réglés et la porte lui avait été tenue. Des gestes appréciables.

Etre traitée comme une lady n’était pas chose courante dans la vie d’Erelinn. Bien que sa famille ait toujours été aisée, elle n’avait pas hérité de titre de noblesse. Cependant son éducation trompait bien des inconnus depuis plusieurs années. On pouvait facilement se méprendre sur elle, si bien qu’elle en riait et en usait parfois. Miss Hummingbird était une sorte de personnage qu’elle s’était créé. Sa part aventurière, revêche et toujours digne, respectueuse. Mais la face cachée d’Erelinn était bien différente. Akira aimerait-elle cette moitié de son être ? Rien de moins sûr.

L’air était chaud mais il faisait bon dans les rues pavées. Entamant leur balade comme un couple flânant dans les ruelles de l’époque victorienne, le visage pensif, la femme aux yeux poison se laissa aller et posa sa tête contre l’épaule de la violoniste. Un sourire se dessina sur ses lèvres rosées.

*Sauriez-vous être mon amie, chère Akira ?*

« Ne nous pressons pas, les étoiles sont délicieuses ce soir et votre compagnie me réchauffe le cœur. » lui confia-t-elle tout bas en avançant d’un pas plus lent.

Quand la louve argentée la questionna quant à leur destination cette dernière sembla plus apaisée qu’au départ, pour le plus grand plaisir d’Erelinn.

« Et si nous faisions quelques détours ? Après tout je ne suis pas ici depuis longtemps, cela me permettrais de mieux mémoriser le quartier. Il fait bon, profitons-en. Oserais-je aussi ajouter que la lune vous sublime la peau à cet instant ? » Souligna-t-elle en posant sa main sur la joue d’Akira avec une grande délicatesse.

La ville semblait endormie, mais autre chose s’était éveillé. La nuit resplendissait dans ses nuances bleutées et parme. Le parfum fleuri qui enivrait leurs narines semblait leur être dédié. Un oiseau nocturne chantait sa solitude, comme jaloux de leur proximité. Elles allaient par-delà le petit pont, surplombant la rivière où croassaient les petits amphibiens. Etaient-ce des grenouilles ? Y avait-il seulement des grenouilles sur cette planète ? Peu importe. Leurs pas les menèrent dans des allées étroites et obscures, ce qui semblait enthousiasmer l’aventurière. N’importe quelle femme aurait eu un sentiment d’insécurité en les traversant ainsi. Mais pas notre chère Miss Hummingbird. Un instant, une idée lui avait traversé l’esprit. Audacieuse certes.

D’un seul coup, la sulfureuse artiste plaqua sa protectrice contre le mur. Là dans la ruelle sombre, le temps s’était de nouveau figé. Le regard intense et profond comme les abysses, à quelques millimètres seulement de ses lèvres, elle laissa son souffle incandescent la caresser. Ses mains remontèrent de sa chemise à son col, passant dans sa chevelure douce et empreinte de chaleur. Cette chaleur qu’ont les êtres vivants, si particulière, si différente des autres sources. Doucement, elle frôla sa mâchoire pour atteindre son oreille, y glissant quelques mots. Un secret chuchoté, avec comme seuls témoins les astres rayonnants.

« Kiryu Akira…Lycan d’argent et anciennement yakuza…promettez-moi à d’autres danses. Soyons amies et confidentes. Ou serions-nous bien plus encore ? La Lune nous gardera. Vous n’oseriez pas briser une promesse en sa présence, n’est-ce pas ? » Murmura-t-elle, la voix et le cœur ardents.

Peut-être allait-elle la faire fuir. Pourtant les ténèbres en Erelinn étaient grandes et se devaient de se montrer face à Akira. Car sans cela, leur relation ne serait plus qu’un mensonge. La femme qu’elle était devenue avait besoin d’une alliée après tant d’années à errer sans âme à chérir. Une simple présence de temps à autres ne suffisait plus.

La violoniste l’étreindrait-elle avec passion ? Manifesterait-elle son intérêt ou la repousserait-elle ? Existait-il une possibilité qu’elles deviennent proches ?

La destination serait donc la porte de sa chambre. Soit, il en serait donc ainsi. L’amazone venait de poser sa tête contre l’épaule d’Akira et affichait un sourire exquis. La yankee en fut quelque peu surprise sans le montrer. Elle afficha simplement un sourire serein. Comme elle, Erelinn ne voulait pas se presser et ralentit. Elle l’imita avec grand plaisir.

"Comment pourrais-je refuser ? Votre présence me comble plus que vous ne le pensez." Confia-t-elle avec la plus grande des sincérités.

Un détour ? Était-ce vraiment pour s’orienter à l’avenir ou était-ce un prétexte ? En réalité la réponse n’importait guère. L’idée en était même séduisante. Sublime sensation, cette main si délicate. Comment ne pas apprécier pareille merveille ? Fermant les yeux pour savourer plus encore. La louve les rouvrit posément. Posant sa main contre la sienne, la gardant contre sa joue.

"Mylady, ce n’est pas moi que les astres prennent pour cible de leurs lumières. Si une personne est sublimée c’est bien vous."

Pour sûr, l’amazone à la peau immaculée rayonnait, sa chevelure pourpre flamboyait somptueusement et ses yeux scintillaient d’une lumière envoutante. Elle se faisait reine de cet environnement nocturne. Ces ténèbres étincelant la glorifiaient. Jamais les yeux d’argents n’avaient pu admirer un tel spectacle. Décidément cette soirée était de plus en plus miraculeuse. Elles enchainèrent les ruelles obscures. Erelinn était intrépide tout comme Akira.

Tout à coup sans prévenir un nouveau contact, sensuel et rude à la fois. La Yakuza se retrouva dos au mur. Erelinn blottie contre elle, ses lèvres la frôlant dangereusement. Intenses caresses dans sa chevelure d’argent. Le cœur d’Akira fit un bond dans sa poitrine. La fièvre s’empara de nouveau d’elle. Une pulsion. En une fraction de secondes, les rôles furent échangés. C’était elle qui plaquait l’autre contre ce mur. Sa main gauche sur cette fine cambrure, sa main droite emprisonnant un poignet délicat. Erelinn était en train d’allumer un feu au fond du glacier. Plongeant ses yeux dans les siens, elle vint à son tour frôler les lèvres de la demoiselle.  

*Amies hein ? J’ais à ton encontre un désir qui ne se fait pas entre "amies"*

"Je vous le promet et n’ai qu’une parole. Pourrez-vous en faire de même ?"
 
Un désir incommensurable la submergeait. S’emparer de cette perle, la faire sienne. Un feu ardent, non, un volcan était sur le point d’entrer en éruption. Sa peau devenait brûlante et son regard devait sans doute la trahir. Sa main droite se crispant quelque peu. Non il ne fallait pas. Cette Lady méritait plus. Akira ferma furtivement les yeux tout en se mordant la lèvre pour se contenir.

"Attention à ne pas réveiller le lycan, Erelinn…"

Relâchant doucement sa prise elle essayait de reprendre son calme bien que ce soit ardu.

Sa présence comblait donc sa cavalière préférée. Tant mieux. Heureuse de voir un sourire serein sur le visage de cette dernière, Erelinn se sentit de mieux en mieux au fil du temps qui passait. La main contre la sienne était si douce qu’elle ne put s’empêcher de frémir délicieusement. Le compliment que la belle louve lui avait fait eu pour effet de la faire rougir un instant. Ses paroles l’avaient touchée. Le regard fixe sur Akira, l’artiste se sentait envoûtée par la vision qui s’offrait à elle. Sa nouvelle amie était scintillante comme la Lune, ses cheveux lui créant un halo de lumière semblable aux auréoles des anges. Mais bien entendu, Erelinn savait garder en tête qu’elle n’en était pas un.

Quand arrivées dans la ruelle peu engageante elle plaqua la musicienne contre un mur afin de s’approcher de son oreille, celle-ci l’y plaqua à son tour. Son poignet s’était fait emprisonner, immobile contre le mur froid. La main gauche d’Akira tenait son bas du dos, elle pouvait sentir sa force à travers son serre-taille aux armatures de fer. Cependant, elle n’avait pas peur, loin de là. La parfumeuse trouvait même cela plutôt excitant. Elle s’amusa, l’air sérieux pourtant ; à caresser de ses lèvres celles de la yankee avant de lui répondre.

« C’est une promesse. » Dit-elle tout bas.

Et tandis qu’elle prononçait ces mots, la renarde sentit une vague de frustration monter chez son interlocutrice. La chaleur de leurs corps augmentait de plus en plus, leurs regards s’affrontant avec intensité. Bientôt, Erelinn sentit son poignet agrippé de plus belle, les doigts se resserrant autour. La louve avait fermé les yeux et un détail retint l’attention de la rousse, pour son plus grand plaisir : elle se mordait la lèvre d’envie. Une phrase lui échappa. Une menace plutôt. Cela arracha un sourire malicieux à la ténébreuse.

« Akira, pourquoi aurais-je peur de toi ? » demanda-t-elle le ton embrasé.

A ces mots, elle glissa sa cuisse le long de la sienne, le tissu se relevant sur ses bas résille jusqu’à dévoiler son porte-jarretelle, abaissant la main d’Akira pour la porter sur le bord de son bas. Si la situation devait déraper à cet instant, cela lui était égal. Après tout, qu’avait-elle à perdre ? Elle verrait bien si cette histoire aurait une suite d’une manière ou d’une autre. Pour le moment, elle testait les limites et la personnalité de sa louve préférée.

Elle aurait voulu exprimer différemment son ressenti, comme en passant la nuit blottie contre son corps, sans arrière-pensée. Juste dans ses bras. Mais il aurait été inapproprié d’en formuler la demande, alors elle se contentait de jouer avec le feu, faisant durer leur échange afin de passer le plus de temps possible en sa compagnie avant de devoir retourner dans son lit froid toute seule.

Une teinte rosée délicieuse de plus. Une fièvre sans pareil s’était par la suite emparée de la yankee. A cet instant, dans cette ruelle, Akira était submergée par une chose qu’elle n’avait jamais ressentie. Erelinn faisait naître en elle un désir qu’elle n’arrivait pas à contrôler. Elle essayait de se contenir. Mais peu à peu elle perdait le contrôle. Erelinn n’arrangeait rien en caressant ses lèvres des siennes. Celle-ci avait prononcé une promesse. Au fond d’elle, cela procurait du bonheur à la louve. Mais pouvait-elle vraiment la croire ? La confiance. Chose qu’Akira n’avait jamais connu dans sa vie.

Essayant tant bien que mal de calmer ses ardeurs. Erelinn renchérit. Peur ? Non ce n’était pas du tout pour lui faire peur qu’elle avait prononcé ces mots. En réalité la yankee avait dit cela pour se calmer elle-même. Mais la rousse ne le lui permettait pas. Celle-ci jetait de l’huile sur le feu. Remontant sa cuisse contre la sienne, la faisant caresser ses bas et sa peau. Du bout des doigts Akira sentit qu’elle portait un porte-jarretelle. Son désir la consumait. Sans qu’elle s’en rende compte, sa main se fit plus forte, remontant dangereusement sur la peau de la sulfureuse. Le son de sa voix trahit son envie.

"Je ne veux pas, que tu aies peur de moi…"

Son autre main agrippait la cambrure qui lui était offerte. Plongeant dans le creux du cou de la jeune femme, y déposant un baiser brûlant d’envie. Griffant de passion la peau de cette cuisse. Akira perdait toute maîtrise. Elle ne résisterait pas longtemps dans ses conditions. Elle revint aux lèvres d’Erelinn, la respiration saccadée.

"Si tu continues de la sorte je n’arriverais plus à me contrôler. Je… Ne veux pas te traiter comme cela. Tu mérites beaucoup mieux, beaucoup plus…"

La beauté sombre comprendrait-elle le sens de ces paroles ? La Yakuza ne voulait absolument pas la traiter comme toutes les autres. Elle n’était pas comme les autres. Elle semblait être bien plus. Même si elle n’en était pas consciente, Akira était déjà liée à elle. Essayant tant bien que mal d’arrêter ses caresses. Le mieux qu’elle puisse faire fut de s’immobiliser. Le glacier était devenu volcan.

"Laisse-moi… te traiter comme la Lady que tu es…"

Une Lady n’est point femme d’une nuit. De plus, la louve était fatiguée de ce jeu perpétuel. Depuis qu’elle était arrivée, elle avait décidé de  cesser cette quête qui ne menait à rien. Elle avait succombé à ses travers dans des moments d’extrême solitude mais jamais dans un moment neutre, jusqu’à ce soir. Jusqu’à Erelinn…

L’ensorceleuse aux yeux émeraude eut un sourire presque mystérieux et enjoué. La main d’Akira remontant sur sa cuisse était un contact plus que plaisant. Malgré cela, il fallait mettre un terme à ce jeu, ou bien les choses iraient plus loin.
Non pas que l’aventurière soit gênée par cette éventualité, seulement elle ne souhaitait pas brûler les étapes en y réfléchissant. Peut-être que quelque chose aurait été gâché et il était plus sage de passer plus de temps avec la musicienne afin de mieux la connaître encore et de déterminer si tout cela allait déboucher sur quelque chose de tangible.

Cambrant sous la main de la yakuza avant de se faire embrasser le creux du cou, Erelinn laissa échapper un soupir traduisant son désir charnel. Sa peau réveillée par les frissons chauffait contre celle de la louve, qui griffa d’un coup sa cuisse comme portée par la fièvre. La rousse gémit doucement en se mordant légèrement la lèvre inférieure, le regard plongé dans l’aigue-marine et le jade des iris de sa détentrice.

« Je n’ai aucunement peur. »

Le souffle de la jeune femme aux cheveux d’argent semblait fusionner avec le sien, pour son plus grand plaisir. Ainsi Akira pensait qu’Erelinn méritait mieux. Sans doute la considérait-elle comme une personne au-dessus de la moyenne dans ce cas. La rousse n’était pas certaine de mériter un tel traitement. Cependant elle restait flattée et comblée d’avoir autant d’importance pour la musicienne en un si cours laps de temps. Le visage serein, elle ferma les yeux quelques secondes. Une lady ? Mh…

« Je ne suis pas une lady. D’ailleurs, je n’aime pas vraiment ce mot. Mais tu as raison, arrêtons-nous ici, je ne tiens pas à gâcher ce lien nouveau. »

La femme à la crinière de feu s’écarta alors, laissant sa robe descendre à ses chevilles, faisant un signe de la tête à Akira afin qu’elles repartent.

« Allons, rentrons. » dit-elle d’un ton chaleureux tout en souriant.

Elles passèrent alors plusieurs chemins fleuris, avant de se retrouver dans une allée pleine de lampadaires où les papillons de nuit se posaient, laissant aller leur vie, ne résistant plus à l’attraction de tant de lumière. Erelinn posa un regard furtif sur eux.

*Pauvres créatures, vous auriez mieux fait d’être attirés par l’obscurité. Elle ne vous trahirait jamais.*

Pour l’aventurière, la lumière cachait des choses et l’obscurité en révélait, de manières brutale et franche. C’était ce qu’elle aimait ; pas de mensonges dans les ténèbres. Juste son propre esprit contre qui il fallait lutter.
Arrivées devant la résidence, la photographe marqua un arrêt ses talons claquant le sol de manière significative avant d’ouvrir l’entrée du bâtiment, montant les escaliers en attendant la belle louve. Une fois devant sa porte de chambre, elle entra la clé dans la serrure et se retourna face à Akira.

« Je dois te remercier pour cette soirée, cette nuit, cette rencontre et pour notre prochain rendez-vous, qui je l’espère, te plaira autant qu’à moi. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eue si bonne compagnie. Je me serai sans doute bien ennuyée sans ta présence en ces lieux. Merci Akira. »

Sur ces mots doux, elle enlaça avec passion la jeune femme aux yeux iridescents. La chaleur de son corps était agréable, si douce. Elle embrassa son cou, puis la commissure de ses lèvres avant de se plonger dans ses iris, lui faisant face.

« Nous nous reverrons donc, si vous le souhaitez, passez donc me rencontrer en bas de la résidence, vers 12h, ce vendredi si vous le pouvez. La destination restera inconnue ! Nous mangerons ensemble. » Dit-elle à voix basse pour ne pas déranger le voisinage.
Passant une main sur la joue de son amie, elle eut un sourire emplit de tendresse.
« Douce nuit Akira-chan ~ » conclua-t-elle avec un air mystérieux et enjoué.

Un soupir de désir, un gémissement de plaisir, un mordillement de lèvre. L’amazone était visiblement elle aussi habitée d’envies et dépourvue de peur. Akira était comblée de pouvoir découvrir tout cela. Erelinn ne se considérait donc pas comme une lady. Toutefois pour Akira ce mot n’avait pas la définition que le monde en avait. Etre tirée à quatre épingles et avoir été élevée dans un milieu aisé ne faisaient pas d’une femme une lady. La louve avait à ce sujet un avis d’un autre temps. Mais soit, si tel était son souhait alors elle ne l’appellerait plus ainsi mais continuerait de la traiter comme tel.

"Je suis navrée je n’avais nullement l’intention de te heurter en t’appelant ainsi."

La rousse s’était dégagée de l’emprise, amorçant un signe pour que la yakuza lui emboite le pas. L’avait-elle refroidie par sa réaction ? Non, l’amazone souriait. Elle devait avoir saisi ce que la louve voulait dire. Elles reprirent leur route. Appréciant chaque seconde avant leur proche séparation. Le moment fatidique arriva.

Atteignant la porte de la chambre d’Erelinn, celle-ci la remercia. Un prochain rendez-vous, prochain ? Donc elle considérait que cette soirée en fut un. A ces mots, la yakuza souriait intérieurement. Erelinn l’enlaça ce qui la surprit agréablement. Passant ses bras autour d’elle, la serrant délicatement.

"C’est à moi de te remercier, tu as illuminé ma soirée et je ne doute aucunement que notre prochaine rencontre soit tout aussi délectable."

Sa surprise grandit plus encore lorsque la sulfureuse la gratifia de plusieurs baisers. Un sourire se dessina sur son visage. Sourire qui grandit plus encore lorsqu’Erelinn lui donna rendez-vous. Le temps qui la séparait de vendredi se ferait torture.

"J’en serais plus que ravie."
Akira se pencha légèrement afin de déposer un baiser délicat sur la joue de la jeune femme.
"Je te souhaite également une douce nuit Erelinn. J’attendrais avec grande impatience notre prochaine rencontre."

Sur ces mots elle attendit que la jeune femme referme sa porte pour regagner à son tour sa chambre. L’esprit emplit de questions et se remémorant chaque seconde de cette somptueuse soirée.