Perte des repères [monologue]

Un silence, un murmure, un chuchotement... Plus fort, plus fort encore. Maintenant c'est un cri, un hurlement et enfin une plainte. J'ai mal. Ce n'est pas un mal comme d'habitude. Ce n'est pas le mal que provoquent les aiguilles des seringues de la clinique. Ni le mal que m'a fait mon frère cette nuit-là. Non, ce mal est dans mon cœur. Je le sens, il me ronge, il me dévore. Tout entière, je disparais. La plainte.... C'est mon cœur qui crie. J'ai tellement mal que je voudrais mourir.
"Si tu meurs je serais là.
-Je ne veux pas.
-Je prendrais ta place, ton corps, ton cœur, tes souvenirs et ta vie.
-Je n'ai pas eu de vie, et maintenant je vais mourir.
-Personne n'a dit que tu allais mourir. Personne n'a dit que nous allions mourir.
-Moi je le sais. Je le sens.
-Si tu n'as pas eu de vie tu ne peux pas sentir ta mort. "
Elle m'énerve. Je la déteste mais je ne peux rien faire sans elle, cette plaie. C'est elle qui me dévore, pas la plainte. D'ailleurs je ne l'entends même plus. Elle s'est éteinte. Qui s'est éteinte? La plainte ou l'autre?

De la lumière? C'est amusant, elle n'est pas comme celle de la clinique. Elle semble plus douce et chaude. J'ai l'impression de me noyer dedans. Elle m'enveloppe, je suis comme dans un drap de clarté. Ça me réchauffe, mon cœur fond. Ou plutôt la glace autour de mon cœur fond. Il bat. J'ai l'impression que c'est la première fois. C'est peut-être le cas? Je suis peut-être morte. Enfin. Après tout ce temps à l’hôpital j'aurais atteint mon but? Mourir pour renaître. Renaître en quelqu'un de mieux. En quelqu'un d'heureux.
-T'es pas morte imbécile.

Maintenant je respire! Mes yeux se sont ouvert et je vois la lumière! Je vois d'où elle vient et elle vient de partout. Un frisson me parcourt. C'est le vent qui le provoque, cette brise me paraît être une tempête. Cela fait si longtemps que je ne me suis pas tenue debout seule contre le vent. Je vais essayer de marcher un peu. Je trébuche et chute. Mais le sol est si mou. Qu'est-ce que c'est? Où est le carrelage froid et dur de ma clinique? Mon monde s'écroule. Avant tout était droit et solide. Tout me soutenait. Tout m'interdisait de tomber sous peine de douleur. Je me suis cassé trop de fois les poignets sur le sol carrelé pour ne pas le connaître par cœur. Mais désormais tout est doux. Je peux m'allonger dans l'herbe et sentir les fleurs. Je peux regarder le ciel car il n'y a plus de plafond. Je peux regarder l'horizon car il n'y a plus de mur. Pour toujours.