Tromper l'ennui and more ? [Keyha][TERMINE]

Anita avait attendu que Keyah lui fasse signe pour se lever. Lorsque les lumières se rallumèrent et que sa voisine lui dise d'y aller, elle put remarquer que Keyah était une jeune femme ravissante. Elle avait le teint mat comme Anita l'avait jugé par le peu d'éclairage durant le film, ses cheveux étaient d'un violet sombre et profond, aussi étonnant que les reflets bleus qui parcouraient la chevelure d'Anita. Le plus étonnant était son regard, deux billes quasi félines, Anita se demanda un instant si elle n'était pas tombée sur un léopard-garou comme ceux qu'il y avait dans les livres qu'elle lisait plus jeune. Keyah paraissait légèrement plus grande qu'elle, ce qui n'était pas difficile vu qu'Anita s'était toujours considérée comme à peine plus grande qu'un enfant n'ayant pas fini sa croissance.

Je vous suis, allons boire ce verre! Le film vous a plu?

Anita sourit, embrassée. Elle avait certes apprécié le film, mais ce n'était pas non plus son genre de film de prédilection. Autant être honnête. Alors qu'elles se dirigeaient vers le bar Anita reprit la parole.

Eh bien, bien que ce ne soit pas le genre de film que je préfère, il était très bon. Mais c'est vrai que j'apprécie plus les films stupides et violents ... enfin je veux dire, j'évite les films qui pourraient m'amener à me poser des questions sur ma vie. Remarquez, même le plus violent des films risquerait de me ramener à ma vie, ma vie passée, donc ... Ce film était excellent, et je suis sure que je l'aurais bien plus apprécié sans la club de cheerleaders d'Etiopia, mais bien moins sans notre rencontre.

Anita rougit aussitôt. Bordel ! Elle agissait comme cet empaffé de Jean-Claude, mais il faut dire que ses méthodes s'avéraient toujours prometteuses, alors pourquoi ne pas l'imiter. Anita tenta de dissiper l'embarras qui devait se voir sur ses joues comme l'enseigne du bar dans la nuit.

Ah ! Nous y voilà. Bon d'avance je m'excuse si l'ambiance n'est pas au rendez-vous, je ne suis jamais venue, dit-elle en poussant la porte, j'ose espérer que -

Anita se figea sitôt entrée dans le bar. Elle ne s'attendait pas à ça, pas dans ce village. Elle dut encore une fois passer par toutes les nuances de rouge possible en constatant que le bar offrait des spectacles de strip tease le soir venu.

Doux Jésus ... Pardonne moi Grand mère pour m'être si grandement écartée de ton droit chemin ... Si vous préférez un autre endroit alors on peut ... enfin sauf si vous préférez rester ici.

Anita n'était pas tellement tranquille, même assise à l'écart, mais elle finirait bien par s'y habituer. Elle réalise que Keyah devait la prendre pour une jeune fille chaste et prude, ce qui n'était pas tellement le cas, mais elle préféra laisser planer cette idée là.

Vous venez d'où au fait?

Anita releva brusquement la tête. Sa petite introspection lui avait presque fait oublier sa charmante compagne.

Saint Louis, Missouri. Une ville affreuse, enfin, magnifique, mais le climat craint un max, un peu comme la population. Et vous ?

Ses yeux se posèrent accidentellement sur la jeune fille qui dansait de façon plus qu'invitante sur la scène. Anita sentit alors ses joues rosir. Elle avait beau le nier, cela ne la laissait pas indifférente. Cela ne l'avait jamais laissé indifférente, la beauté sous toutes ses formes était une chose qu'Anita couvait de son regard azur. Son attention se reporta d'ailleurs sur la beauté en face d'elle. Ses pulsions lui hurlaient de lui sauter dessus, mais son éducation, et sa pudeur, lui susurraient d'être sage. Si elle avait écouté un peu plus sa tête au lieu de son corps, elle n'aurait pas ruiné toutes ses chances de connaître le grand amour. Enfin elle avait surement fait foiré elle même ses chances à ce grand tirage en grattant la mauvaise case.

Je suis désolée si ma réaction vous a surprise ... en fait je ... je suis pas franchement attirée par les femmes, enfin disons que je ne l'étais pas avant mon arrivée ici alors j'ai encore du mal à gérer les hormones qui s'agitent en moi ... Je vaux pas mieux que ces filles dans le cinéma ! L'autre raison c'est qu'un de mes ex tenait un club de ce genre, alors ça fait remonter des souvenirs.

Elle ne précisa pas mauvais, ils ne l'étaient pas. Du moins pas tous. Son choix consistait un mauvais souvenir qui lui avait apporté de bons souvenirs, alors finalement tout se valait. La serveuse arriva avec leur boisson et Anita fut ravie de voir se poser sur la table une tequila sunrise. Elle n'avait pas bu ce cocktail depuis ses années facs.

Anita sirotait tranquillement sa tequila en écoutant Keyah. Quel plaisir de parler avec une jeune femme cultivée. Ses mots, ce qui émanait d'elle, la couleur de sa peau, tout ceci lui rappelait une personne qu'elle avait laissé partir, ou plutôt qu'elle avait poussé à partir.

Vous savez ce que disait Oscar Wilde? La meilleure façon de résister à la tentation, c'est d'y céder.

Anita faillit recracher son cocktail alors que ses joues recommencèrent à s'empourprer. Céder à la tentation, voilà une notion qu'elle maîtrisait parfaitement, beaucoup mieux que celle qui consiste à faire l'inverse. Cela dit Keyah marquait un point. Si Anita n'avait pas été si prude dans une certaine relation, la situation ne se serait pas envenimée et elle n'aurait pas fini dans les bras du premier séducteur venu, même si le séducteur en question avait mis du coeur à l'ouvrage pour la séduire.

Héhé ... c'est à dire que résister ou succomber, chez moi ça finit toujours en merdier intergalactique ! Ma vie sentimentale était un champ de bataille jonché de cadavres au coeur brisé !

Anita leva son verre en direction de Keyah en lui souriant. Elle n'était jamais sortie avec une femme, hormis les sorties shopping avec Ronnie et Catherine, mais ça ne comptait pas vraiment dans ce contexte là, et elle se surprenait à y prendre du plaisir. Le machisme de certains hommes, la galanterie à l'excès, tout ceci ne lui manquait pas.

Je suis arrivée il y a quelques semaines je crois. Je tourne un peu en rond à vrai dire. Je suis contente d'être ici parce que ça veut dire que j'ai survécu à la balle qui m'a traversé l'épaule, mais d'un autre côté, je ne fais pas franchement à ma vie ici. Je ne sais pas comment je pourrais exercer mon boulot dans une ville où si peu de choses se passent ! Et vous ? Depuis quand hantez vous les rues d'Etiopia ?

Anita voulait essayer d'être charmeuse, mais comme on le lui avait souvent fait remarquer, elle n'avait pas ça en elle. Si quelqu'un la trouvait charmante et sexy alors tant mieux, sinon tant pis. Heureusement pour elle Keyah ne semblait pas à la recherche de la femme fatale !

Keyah sourit en voyant le visage d'Anita trahir une réaction à sa phrase. Elle avait eu l'effet escompté. Elle écouta sa réponse, bloquant le réflexe de hausser les épaules. Selon sa propre idée, les coeurs brisés étaient dûs à la prétention de la plupart des gens de s'approprier l'autre, chose qu'elle n'avait jamais compris.

Elle sirota son cocktail en écoutant ce que disait la jolie jeune femme. Une blessure par balle. Elle y avait échappé, elle, mais nul doute que si le sbire qui la suivait l'avait rattrapée, elle y aurait eu droit.

Hanter?

Elle sourit.

Le mot n'est pas si mal choisi.. Je dois être arrivée il y a quelques mois, mais je ne compte pas les jours, je ne saurais vous dire. J'ai profité de mon arrivée ici pour m'affranchir des contraintes du temps qui passe. Un peu trop d'ailleurs...

Elle repensa à son arrivée en retard au cinéma. Les seuls horaires qui contrôlaient encore son temps étaient ceux du cinéma justement.

Enfin.. Vous faisiez quoi comme boulot? J'ai dû redimensionner le mien aussi. Etiopia ne se prête pas à toutes les professions. Alors d'utiliser les arts du cirque pour sortir des gamins de la rue, j'en suis passée à les utiliser pour amuser les habitantes. D'ailleurs c'est ce que je faisais avant de venir au cinéma, ce qui explique mon accoutrement.

Elle accompagna ses mots d'un geste de la main désignant ses habits de mime.

Je ne m'habille pas ainsi pour sortir dans un bar avec une jolie femme d'habitude.

Elle laissa volontairement un silence de deux ou trois secondes, un sourire en coin sur les lèvres, avant de continuer.

Ainsi vous ne vous faites pas à la vie ici? Ce n'est pas évident. Le premier mois je ne suis pratiquement pas sortie de ma chambre d'hôtel. Seule à ruminer ma vengeance.. qui je n'accomplirai jamais puisque nous sommes coincés ici. Et puis j'ai décidé d'aller de l'avant, vers l'avenir, au lieu de vouloir me venger du passé. Et j'ai appris à apprécier Etiopia. Même si la moyenne d'âge est basse, même si on ne peut pas décider d'en sortir. Il y a d'indéniables avantages. Comme celui de n'être qu'entre femmes. Enfin de mon point de vue évidemment!

S'affranchir du temps qui passait ? Anita avait un peu laissé ses montres et ses calendriers de côté, n'étant même plus sure de savoir lequel s'appliquait ici. Keyah était artiste de rue, étonnant comme métier, mais cela expliquait la tenue de mimi.

Je ne m'habille pas ainsi pour sortir dans un bar avec une jolie femme d'habitude.

Anita sourit, cette fois-ci elle ne sentit pas le rouge lui montait aux joues, elle faisait visiblement des progrès. Elle décida même d'attraper cette perche tendue.

Cela dit, très peu de femmes réussiraient à être charmantes dans cette tenue si on la sort de son contexte.

Elle accompagna ses mots d'un sourire qui sans être timide lui permit de masquer le léger embarras qu'elle ressentait après son compliment. Ce n'était pas difficile, elle n'avait qu'à penser à JC et à se comporter comme lui. Une voix de velours qui vous caresse à chaque intonation, un regard glacé qui vous réchauffe sans même y prêter attention. Anita se rappela que Keyah lui avait posé une question juste avant de lancer ce petit jeu de séduction.

Avant j'étais journaliste. Enfin ... pour être plus exact, j'aidais la police au travers de mes reportages. J'avais pas mal de contact - sa voix se crispa - dans les milieux les moins reluisants de la ville et donc ça m'arrivait d'aider à résoudre des enquêtes. Mais mon travail consistait à rassembler des éléments et à écrire des articles, articles que mon boss revoyaient totalement sans m'en parler mais ça payait le loyer alors ...

Dès qu'elle repensait à cette époque, le visage et le corps explosé de Willie lui revenait en mémoire. C'était un avertissement, mais pour qu'elle arrête son métier, non un avertissement pour qu'elle se mette à courir si elle ne voulait pas finir comme Willie. Keyah s'était remise à parler mais Anita n'y prêta attention qu'au bout de quelques secondes.

Seule à ruminer ma vengeance.. qui je n'accomplirai jamais puisque nous sommes coincés ici. Et puis j'ai décidé d'aller de l'avant, vers l'avenir, au lieu de vouloir me venger du passé. Et j'ai appris à apprécier Etiopia. Même si la moyenne d'âge est basse, même si on ne peut pas décider d'en sortir. Il y a d'indéniables avantages. Comme celui de n'être qu'entre femmes. Enfin de mon point de vue évidemment!

Ruminer sa vengeance hein. Si Anita trouvait celui qui avait fait ça à Willie elle lui ferait savoir qu'elle aussi était capable de cribler les gens de balles sans le moindre remord. Bien sur elle n'en aurait jamais l'occasion. Même les petites frappes dans le genre à Willie ne méritent pas de mourir dans une vieille ruelle puant la pisse, même les gens comme Willie ont une famille et des amis. L'enfoiré qui lui avait fait ça le paierait un jour ou l'autre, que ce soit de la main de la justice humaine ou d'une toute autre justice.

Etre entre femmes ... je suppose que je pourrais y voir un avantage vu le nombre de prétendant qui me courraient après à Saint Louis ... Je ne suis pas en train de me vanter mais ... Enfin si je me vante. C'est juste que c'était totalement inattendu. Je suis l'inverse de ce genre de filles, celles qui draguent à tout va et collectionne les conquêtes. Alors peut être que ce changement d'atmosphère va me permettre de mettre au clair mes idées.

Anita avait presque fini son cocktail. Il était délicieux, aussi elle décida d'en commander un deuxième, prenant la liberté de commander un autre cocktail pour Keyah au passage.

Keyah, c'est bien ça ? Je ... je ne voudrais pas que vous vous fassiez une trop haute opinion de moi, ou que vous espériez plus que ce je peux vous donner. Telle que vous me voyez, je suis une phobique de l'engagement, mes pulsions m'ont menées à prendre bon nombre de mauvaises décisions et je suppose que tout ceci m'a menée ici, plus encore que la balle dans l'épaule.

Anita marqua une pause. Elle ne savait pas comment dire le fond de sa pensée.

Je ne sais pas si je suis prête à me lancer dans quoique ce soit avec une femme. C'est nouveau pour moi. Je commence à apprivoiser l'idée que ceci n'est pas une sortie entre copines mais peut être un tout petit peu plus. Vous êtes charmantes, mais je ne voudrais pas agir sur un coup de tête. Je pense que c'est la raison de ma venue ici. Donc ... profitons de cette soirée pour sympathiser ...

Anita baissa le nez sur son verre vide. Il lui tardait qu'un verre plein arrive ainsi elle pourrait cacher son embarras en buvant. Elle appréciait vraiment de parler avec Keyah qui était en plus une jeune femme charmante, mais elle n'était pas prête à embrasser totalement sa nouvelle vie ici. Laisser son arme dans sa chambre était déjà beaucoup. Ce petit jeu de séduction qu'elle avait entamé avec Keyah était réjouissant mais elle n'était pas prête à le pousser plus loin, pas pour le moment, il lui faudrait encore un peu de temps pour accepter de vivre une relation de ce type, chose qu'elle n'avait jamais envisagé de sa vie.

Anita.. Ne croyez pas que j'attende quoique ce soit de vous, ou de cette soirée. Je vais être sincère, les choses vont mieux en le disant, et puis vous l'avez été vous-même. En effet, ce n'est pas une sortie entre copines. Je ne vous connais pas encore, vous non plus. Vous êtes une femme charmante, et qui plus est intéressante. Je ne dirais certainement pas non à l'idée d'aller plus loin.

Anita rougit, elle se sentait gênée, et en même temps flattée, tragédie que les réactions de l'être humain ! Elle écouta attentivement Keyah.

Mais enfin, je suis loin d'être une adepte de l'engagement pour commencer, et surtout, nous sommes ici pour faire connaissance, rien de plus, sans idées derrière la tête.
Si je.. comment dire.. flirte un peu, c'est parce que j'aime ça, n'y voyez pas là le signe d'une drague acharnée que vous pourriez décevoir.
J'aime rencontrer les gens au delà de toute autre considération.

Anita sourit. Voilà un point qu'elle n'avait pas en commun, Anita n'étant pas d'une nature curieuse des gens. Elle avait toujours été plutôt solitaire, et il fallait vraiment que les personnes soient intéressantes ou piquent sa curiosité pour qu'elle s'y intéresse. Cependant elle était ravie de faire la connaissance de Keyah et elle aurait été déçue si celle-ci avait mal pris sa sincérité.

Je préfère être sincère, plus tôt les choses sont dites, moins l'autre risque de souffrir. Donc si tout est clair, continuons à faire connaissance autour de ces délicieux cocktails ! Vos spectacles, ils ne se limitent pas au mime je suppose ?

Pour une fois, Anita était curieuse. Elle voulait en savoir plus sur Keyah, elle n'avait plus d'amie à Etiopia, et Ronnie et Catherine étaient les seules personnes de son ancienne vie qu'elle regrettait réellement. Elle avait besoin de quelqu'un qui l'accompagnerait pour faire ses footings, quelqu'un qui lui dirait de s'habiller comme une fille une fois de temps en temps, quelqu'un qui la réprimanderait sur ses choix sentimentaux.

Je ne me rappelle pas si vous me l'avez dit, le bruit et l'alcool font leur effet, mais vous venez d'où ? Ce village empêche toute découverte en nous permettant de comprendre la langue de chacune ...

(très peu d'inspiration, du à l'heure tardive je suppose..)

Anita semblait avoir apprécié aussi sa sincérité, et puisque les choses étaient dites, elles pouvaient, comme l'avait si bien suggéré l'américaine, continuer à faire connaissance en buvant les nouveaux cocktails qui venaient de leur être servis.

Elle trinqua donc et but une gorgée du sien. Tiens, un goût qu'elle ne connaissait pas. Et bon avec ça. Elle en but une autre gorgée avant de répondre.

Non bien sûr.. Le mime en soi n'est que la façade. Le contenant. Je jongle, je fais de la micromagie.. magie de proximité pour être clair.. L'équilibrisme pas trop, j'avais essayé d'apprendre à marcher sur un fil, ce fut un désastre!

Elle laissa échapper un petit rire au souvenir de ses essais catastrophiques au funambulisme.

En fait, mon but c'est surtout de faire sourire les spectateurs, un vrai sourire sincère vous savez, du genre qui les suit tout au long de la journée.

Elle but une autre gorgée.

Je sais, ça fait très hippy, peace and love, etc.. Mais que voulez-vous, on ne se refait pas!

Elle l'écouta parler du traducteur automatique d'Etiopia.

Je viens de Napoli, en Italie. Mais je suis née à Genova, j'y ai grandi, j'y suis restée jusqu'à il y a quelques années.
Cest vrai qu'avec ce traducteur.. on perd la découverte des langues, et des accents..

Anita remarqua que le visage de Keyah s'assombrit alors qu'elle parlait de l'Italie, de son passé, une lueur passa dans son regard. Anita la connaissait bien cette lueur, elle voulait dire tellement de choses à la fois, des excuses, des regrets, de la haine, et surtout de la tristesse.

Vous en prenez bien un autre avec moi, oui?

Elle n'eut pas le temps de dire non que Keyah commanda encore deux boissons. A ce rythme là la soirée pouvait vite dégénérer dans le bon comme dans le mauvais sens du terme, Anita n'ayant pas beaucoup de notion sur sa résistance et sa réaction à l'alcool.

Oh, mais, excusez-moi de cette réaction si.. sombre. C'est que j'essaye de ne pas trop y penser d'habitude. Je n'y puis rien changer, et puis d'ici.. C'est une nouvelle vie, alors j'essaye de la prendre comme elle vient. Mais de temps en temps, les souvenirs, comme nous disions tout à l'heure.. s'imposent à notre mémoire.

Pas la peine de vous excuser, on arrive toute avec notre bagage ici, certaines plus que d'autres. On a la chance de refaire notre vie alors il faut la saisir, vous avez entièrement raison. Alors portons un toast pour célébrer cette chance qui nous a été offerte !

Anita leva alors son verre presque vide en attendant que la serveuse arrive et se prépara à trinquer. Son regard se posa alors sans raison particulière sur la scène où une jeune femme dont la pudeur n'était préservée que par une mince portion de tissu exécutait des mouvements qu'Anita ne croyait pas possible avec des talons de cette hauteur.

Juste ciel ... murmura-t-elle en rougissant et en se disant que Keyah devait surement être capable de la même adresse. Anita n'était pas maladroite, elle était même plutôt douée pour tout ce qui touchait au sport mais la grâce était une chose qu'elle avait du mal à appréhender. Renverser un balourd de 100 kilos ne lui posait pas de problème mais danser même avec des chaussures plates c'était une autre histoire.

Un toast à cette nouvelle chance que leur offrait Etiopia. Voilà une bonne idée. Keyah tourna la tête pour voir si la serveuse arrivait, elle était en train de prendre les cocktails au bar. Elle se retourna vers Anita, et la vit immobile, le bras levé tenant son verre presque vide, rougissant, le regard fixe sur quelque chose..

Elle suivit son regard, et vit elle aussi la danseuse en talons aiguille qui bougeait de façon assez spectaculaire, et surtout, qui était pour le moins dénudée.. Ou presque.
Elle se fixa aussi quelques secondes, sans néanmoins rougir

Ah oui... quand même... murmura-t'elle

Il faisait chaud d'un coup. Et l'alcool n'arrangeait rien. Pour compenser, ses idées noires avaient disparu. Oh, pas définitivement, elles reviendraient bien vite. Mais pour l'instant elles étaient reléguées dans un coin de sa mémoire et y restaient bien sagement.

Elle se retourna de nouveau vers Anita. Dieu ce qu'elle pouvait être jolie.. Elle chassa cette idée. Non non, elle lui avait dit ne pas avoir d'idées derrière la tête, il ne s'agissait pas de s'en faire venir une maintenant.

La serveuse arriva heureusement. C'était des cocktails un peu plus légers que les précédents. N'ayant pas vraiment eu le temps de manger avant d'aller au cinéma, Keyah ne voulait pas trop exagérer avec l'alcool.

Elle trinqua alors avec Anita.

À notre seconde chance alors, et à nos nouvelles vies!

Je sais bien que vu que j'aime les femmes, ça ne semble pas très objectif.. Mais j'ai du mal à comprendre les gens qui sont insensibles au charme féminin.. Je ne dis pas que cela doit automatiquement devenir une attirance.. sexuelle disons.. Mais savoir en apprécier la beauté.. Enfin, vous au moins, vous ne faites pas partie de ce genre de personne fermée et coincée..

Anita acquiesça, elle n'avait certes jamais envisagé la possibilité de tomber amoureuse d'une femme voire plus, mais elle appréciait la beauté sous toutes les formes qu'elle pouvait revêtir. Alors qu'elle regardait Keyah entre deux oeillades à la scène, Anita remarqua un sourire qui en disait long sur la personnalité de la jeune italienne. Ce regard Anita le connaissait pour l'avoir vu souvent sur des hommes de sa connaissance, il n'y avait certes rien de semblable entre le sourire sensuellement enjôleur d'une femme et la charnelle inspection visuelle à laquelle s'adonnaient beaucoup d'homme, mais l'effet produit était le même. Un tourbillon d'émotions, de sensations parcourant son corps, envoyant des pigments rosés sur les joues d'Anita.

Et sinon vous connaissez du monde ici?

Eh bien j'ai rencontré quelques personnes ... en fait j'ai rencontré une jeune fille en boîte mais elle était vraiment jeune, très gentille mais trop jeune mentalement pour supporter une fille au passé aussi dur que moi ! Je me demande comment elle aurait réagit si je lui avais dit que je dormais avec un revolver sous mon oreiller -

Anita s'arrêta net. Ce n'était surement pas le détail le plus séduisant de sa personnalité, sa paranoïa quasi chronique qui l'amenait à dormir armée jusqu'aux dents, ou presque, dans un bled aussi tranquille qu'Etiopia.

Je vous rassure ... Je laisse le cran de sûreté depuis mon arrivée ici - Anita laissa échapper un lourd soupir - voilà le résultat d'une vie dans le pays des armes faciles ! Surement mélangée à un métier dangereux et des fréquentations très limites ... Je n'ai pas la gâchette facile, je ne suis pas spécialement pour la violence.

Elle se justifiait. Pourquoi ? Elle ne l'avait jamais fait jusque là. Quand on lui demandait pourquoi elle portait toujours un flingue sur elle, Anita répondait par une boutade, ça lui allait bien au teint, ça faisait ressortir le bleu de ses yeux, mais jamais elle n'avait vraiment cherché à expliquer pourquoi. Il faut dire que pour beaucoup de personnes de son entourage, vivre avec un flingue greffé à la main était un gage de survie. Mais voilà, si elle était là pour changer, il fallait qu'elle évite de donner d'elle l'image d'une psychopathe accro aux armes.

Désolée Keyah, c'est surement pas le genre d'info que vous recherchiez. Il faudra que j'apprenne à me détacher de cet objet de mon ancienne vie mais ... Des fois quand je repense à Willie, c'était mon pote, ils lui ont fait sauté la cafetière et ils auraient fait pareil avec moi si je m'étais pas enfuie, si j'étais pas arrivée ici ...

Anita sentit un frisson la parcourir. La peur. Comme tout un chacun il lui arrivait d'avoir peur, d'avoir peur à ne plus pouvoir réfléchir, d'avoir peur à vouloir en finir. Elle resserra ses bras autour d'elle même comme pour se réchauffer alors qu'elle était loin d'avoir froid en réalité, le seul froid qu'elle ressentait c'était le froid de la mort, une mort à laquelle elle avait échappé. Elle saisit son verre et finit d'une traite son contenu.

Un revolver sous l'oreiller hein? Un brin inquiétant, mais compréhensible. Keyah n'avait jamais touché une arme à feu, mais elle ne pouvait pas dire qu'elle n'en avait pas eu l'idée, ni l'envie. Et certains réflexes sont tellement ancrés qu'on a du mal à s'en débarrasser. C'était certainement ce qui poussait Anita à rester encore armée malgré la tranquillité d'Etiopia.

Keyah la laissa s'expliquer sans mot dire. De toute façon, elle ne trouvait pas cette information si choquante que ça. Pour une américaine surtout. Pour ce qu'elle en savait, là-bas c'était plutôt normal de posséder une arme à feu chez soi. Et puis Anita le lui confirma.
Avant d'expliquer la raison profonde de tout ça, et de sa venue ici. Keyah se sentit immédiatement en lien avec elle. Et elle la vit frissonner, elle reconnu ce regard, celui de la peur. Celle qui glaçait jusqu'aux os.

Ne soyez pas désolée. Je comprends. Je comprends même très bien. Mon père adoptif était prêtre. Il luttait pour délivrer les prostituées de leurs proxénètes. Quand nous sommes partis à Napoli, c'est contre la Camorra que nous avons commencé à lutter. Il a reçu des menaces de mort. Je l'ai supplié de prendre le port d'arme et une arme, ou bien de me laisser le faire. Il n'a rien voulu savoir.
Il a été assassiné le soir...

Elle grimaça.

.. le soir de mes 28 ans. J'ai vu le tireur. J'ai dû me cacher pendant plusieurs mois. Au moment où il m'avait retrouvé, où j'allais certainement y passer moi aussi, Etiopia m'a sauvée.
Je n'ai même pas pu assister à l'enterrement de mon père.

Je n'ai pas d'arme à feu. Mais j'ai des automatismes qui me restent. Je ne dors pas si la porte n'est pas fermée à clé. Je n'aime pas marcher seule la nuit, j'ai encore parfois l'impression d'être suivie.

Elle marqua un temps de silence, pendant lequel elle finit son verre d'une traite elle aussi. Et se pencha un peu vers elle pour continuer.

J'imagine que ce n'était pas le genre d'informations que vous recherchiez non plus. Que nous le voulions ou non, cela fait partie de nous, nous avons nos fantômes, et nous apprendrons à nous en débarrasser petit à petit.

Elle lui sourit. Le sujet de la conversation n'était certes pas celui auquel elle se serait attendue lors d'une soirée comme celle-ci. Mais c'était la première fois depuis son arrivée qu'elle racontait ce qui l'avait amenée ici. Et pouvoir en parler à quelqu'un qui comprenait, c'était bien plus important que les habituels arguments superficiels.

Anita écouta attentivement Keyah, ne l'interrompant pas. Elle sentait la tristesse et la colère dans sa voix alors qu'elle racontait comment son père adoptif était mort. Comment un homme de foi combattant le mal dans ce monde peut il disparaître comme ça ? C'était dans ces moments là qu'Anita revoyait sa foi à la baisse, même si elle était trop ancrée en elle pour qu'elle la remette en cause.

Je n'ai même pas pu assister à l'enterrement de mon père.

Les funérailles ... c'est surfait ... J'ai assisté à celles de ma mère quand j'étais enfant, et ce n'est pas la dernière image que j'aurais voulu garder d'elle. Vous le chérissez toujours, ses actes et ses paroles sont dans votre coeur, c'est bateau mais tellement vrai. Il y a dans les funérailles quelque chose de dérangeant, ça nous confronte au fait que la personne ne reviendra jamais, que tout est fini pour elle et que les moments qu'on a partagé seront à jamais figé dans nos mémoires. Mais vous avez raison, il faut qu'on apprenne à laisser derrière nous ces bagages encombrants.

Cette image du corps de sa mère gisant dans son cercueil avait hanté Anita pendant de nombreuses années, et même maintenant, même si elle avait surmonté son chagrin, la simple pensée de ce jour, de ce court instant où son regard s'était posé sur le corps sans vie de celle qui était son soleil, lui glaçait le sang. La mort marque vraiment la fin de tout, même si une partie d'elle voulait croire à une autre vie après, la mort marquait la fin de tout ce qui comptait. Anita se ressaisit et vit que Keyah lui souriait. Elle avait un sourire chaleureux, charmeur, qui allumait dans son regard des légères flammes.

Je suis vraiment ravie qu'on ait pu se rencontrer vous et moi. Je n'avais trouvé personne qui comprenne vraiment mes sentiments ici, enfin si cette fille qui m'a accueillie mais je ne l'ai pas revu depuis. Alors ça fait du bien de pouvoir parler avec quelqu'un de mature et de sincère.

Anita plongea son regard azur dans le regard flamboyant de Keyah puis reporta vaguement son attention sur la scène. L'alcool faisait surement son effet car lorsqu'elle regarda la danseuse la personne qu'elle vit se trémousser en tenue légère fut Keyah. Elle déglutit, assez bruyamment mais la musique du show couvrit le bruit, et sentit le rouge lui monter aux joues. La sincérité du moment ? L'alcool ? Le fait que son interlocutrice soit charmante et qu'elle se sente proche d'elle ? Surement un mélange des trois. Anita secoua la tête et inspira un grand coup avant d'expirer. Son regard se posa de nouveau sur Keyah, la vraie pas celle qu'elle imaginait sur scène, et il se fit plus insistant, plus perçant, détaillant chaque partie visible de son corps.

Vous êtes vraiment magnifique ...

Ces mots étaient sortis tous seuls ou plutôt poussés par la partie du cerveau d'Anita qui gérait l'appétit sexuel et qui faisait en ce moment des heures sup'. Anita était certes prude mais en aucun cas chaste, et alors que son esprit rationnel lui souffler d'éviter tout comportement qu'elle pourrait regretter par la suite, son corps lui envoyait des signaux très gênants à son cerveau.

Désolée je ... je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça ... enfin si parce que vous êtes magnifique mais je ne voulais pas - Anita s'arrêta net - je crois que j'ai besoin de me rafraîchir les idées. Vous savez où sont les toilettes ?

Oui elle repérait chaque sortie, chaque entrée par sécurité, mais oubliait systématiquement de chercher les toilettes, personne n'est parfait !

(désolée du manque d'accents circonflexes, je suis sur un clavier italien ce soir!)

Keyah suivit Anita du regard jusqu'à ce qu'elle entre dans les toilettes. Elle reporta bien vite son attention sur la danseuse. Néanmoins son esprit n'y était pas. Elle se prit à penser qu'elle aimerait vraiment revoir la journaliste, et faire plus ample connaissance avec elle. Ce n'était pas un simple défi comme elle l'avait pensé plus tot. C'était la naissance d'un réel intéret, qui allait plus loin que le simple plaisir de rencontrer des gens.
Elle avait rarement été troublée dans sa vie, et s'était rarement sentie aussi proche de quelqu'un sans que cela soit juste de l'empathie.
Peut-etre qu'elle aussi devrait se rafraichir les idées après tout.

Et puis, alors que son regard divagait vers le bar, elle vit Anita revenir du coin de l'oeil et lui sourit donc lorsqu'elle se rapprocha.

Keyah ... Je ne sais pas trop quoi en penser mais ... j'ai envie de vous revoir. Je ne sais pas si je peux vivre pleinement ici mais j'ai envie d'essayer.

J'ai envie de vous revoir aussi Anita. Peut-etre qu'il y a certaines choses auxquelles on ne devrait pas trop penser, et juste se lancer, suivre l'instinct.

Son sourire s'était fait plus doux, et ses mots étaient dévolus tout autant à Anita qu'à elle-meme.

Je vous laisse décider quant à ce rendez-vous...

Elle hésita. Le mot rendez-vous était peut-etre inaproprié. Mais elle se rappela de ses propres paroles : ne pas trop penser.

... ce que vous me proposerez m'ira, tant que c'est en votre compagnie.

Et pour une fois elle rougit également. Peu, mais suffisemment pour le sentir. La demande d'Anita l'avait prise au dépourvu, et elle en était vraiment contente, tellement qu'elle ne trouvait meme pas les mots pour répondre comme il se doit, pour lui faire une proposition elle-meme.. à moins que ce soit l'alcool qui l'empechait d'aligner trois phrases correctement. Ou bien les deux.

(pas forcément génial comme post, faut que je me remette dans le bain! J'enchaîne sur le salon de thé dès que j'ai le temps de poster!)

Que diriez vous qu'on se rejoigne au salon de thé demain après midi ... Non demain j'ai quelque chose à faire, plutôt ... après demain ? Si vous ne travaillez pas bien sur ... Sinon je suis sure qu'on pourra trouver un jour et un endroit pour se revoir ...

Keyah allait dire que juste le lendemain elle ne pouvait pas non plus, mais Anita la prit de court et décala au surlendemain. Tant mieux.
L'italienne sourit.

Oh je ne travaille pas! Enfin, je pourrais, mais je suis libre de choisir. Le salon de thé serait parfait. À 15h j'y serai.

Un peu qu'elle y serait! Keyah avait toujours apprécié de rencontrer les gens, de faire connaissance. Mais il y avait quelque chose chez Anita qui l'intriguait et la troublait.
Et voilà que celle-ci lui proposait de boire un dernier verre. Enfin, une proposition qui ne prévoyait qu'une réponse positive puisque les verres avaient déjà été commandés. Un cocktail inconnu au bataillon. Apparemment Anita avait choisi sans connaître non plus. Un choix au combien intéressant. Puisqu'elle était capable de goûter à l'inconnu, de se laisser tenter par d'autres saveurs et d'abandonner ses habitudes.. Peut-être saurait-elle le faire dans un autre domaine également..

C'était les pensées qui traversaient l'esprit de Keyah alors qu'elle sirotait les premières gorgées de ce dernier verre. Elle s'arrêta net avant de trop divaguer. Décidément, l'alcool, ou la jeune femme, ou bien les deux, lui faisaient perdre le contrôle de ses pensées.

Elle but lentement alors, profitant de cette fin de soirée avec Anita, avant de s'en retourner dormir, la tête déjà à leur futur rendez-vous.