Une toile pour tromper l'ennui [Libre][TERMINE]

Dix jours, peut être vingt. Ou alors c'était deux mois ? Anita ne savait plus trop depuis combien de temps elle avait atterri à Etiopia, sa vie ici n'ayant rien d’attrayant et la raison de sa venue ne lui ayant pas encore sauté aux yeux, elle avait préféré de plus compter les jours pour éviter de se lamenter encore plus. Elle n'avait rencontré que peu de personnes. Il y avait eu Hiro qui avait eu la gentillesse de la recoudre, Rusha qu'elle avait rencontré en discothèque, et la fille qui l'avait poussé vers Rusha et dont elle ne connaissait pas le nom. Son cercle d'amies étant plus que restreint, c'est donc seule qu'Anita se rendit au cinéma ce soir là.

Elle regarda les affiches sans réellement les voir, choisissant finalement le premier film dans la liste qui s'affichait sur les écrans. La séance était pour bientôt, tant mieux elle n'aurait pas à poireauter dans le froid avant de pouvoir s'installer dans une salle trop chauffée. Anita regarda alentour et s'aperçut que Rusha avait raison, il y avait des couples partout. Elle soupira un grand coup, on ouvrit l'accès à la salle et c'est après un passage rapide vers le stand de pop-corn qu'Anita s'engouffra dans la salle obscure.

Alors que la salle se remplissait petit à petit, Anita se demanda si Rusha n'avait pas raison sur un autre point. Avait-elle envie de quelqu'un dans son lit pour la réchauffer l'hiver et la consoler le reste du temps ? Peut être, même si elle n'avait pas besoin d'être consolée. Par moment oui elle avait envie de rencontrer quelqu'un, mais elle avait eu l'impression qu'Etiopia était peuplé de lycéennes, et elle aurait donné cher pour parler avec quelqu'un de son âge, ou à peu près. Par moment elle se disait qu'elle était bien toute seule, réchauffée par la présence de son revolver et de son pingouin en peluche préféré. Mais comprenez la, voir des filles se bécoter à chaque coin de rue à force ça donne envie de faire pareil. Anita sentit ses joues s'empourprer.

"Voyons ma fille t'es plus une ado libidineuse" tenta-t-elle de se convaincre doucement.

Les lumières du plafond s'éteignirent, et une autre lumière se projeta sur l'écran. Anita espérait qu'il y aurait des pubs, souvent les pubs et les bande-annonces constituaient le passage le plus palpitant de la séance.

Anita tenta de se rappeler si le titre lui disait quelque chose mais elle n'avait pas franchement mis les pies au cinéma dans sa jeunesse, dernièrement non plus d'ailleurs. Si ses calculs étaient corrects Keyah ne devait pas être beaucoup plus âgée qu'elle, Dieu existait donc et il lui avait envoyé de la compagnie de son âge, loué soit-il pensa Anita en faisant un signe de croix dans sa tête.

"Oui ... le hasard fait bien les choses ..." murmura-t-elle alors que le film commençait, un léger sourire aux lèvres.

Comme on aurait pu s'y attendre, l'action prenait place aux Etats-Unis, Anita eut d'ailleurs un léger pincement au coeur en reprenant contact avec son ancien monde, même si Saint Louis et la vie qu'elle menait là bas n'avait rien à voir avec la banlieue chic dépeinte dans le film. En fait c'était surement le genre de vie auquel elle avait échappé. "Dieu soit loué" se dit-elle encore une fois.

Anita posa ses bras sur les accoudoirs, mais le cinéma d'Etiopia ne faisait pas exception à la règle et ici aussi il était impossible que deux bras siègent sur le même accoudoir sans se gêner. Elle sentit la chaleur de la peau de Keyah lorsque son bras s'approcha du sien. Anita aurait en temps normal reculait son bras de suite, mais quelque chose dans ce village tendait à effacer sa nature sauvage et solitaire, même si elle n'en était pas à faire confiance à la première venue. Anita fut tirée hors de son attention par des gloussements venus des sièges à côté. Un couple, un parmi tant d'autre, se bécotait joyeusement, pour l'instant, rendant le suivi du film quelque peu chaotique.

"Si vous voulez pouvoir finir ce que vous êtes en train de commencer je vous conseillerai de le faire en silence ! Y'en a qui sont pas venues ici pour se tripoter, bande de nympho !"

Ok, elle était peut être venue dans l'espoir de trouver quelqu'un qui la tripoterait, mais ça elle n'était pas prête de l'admettre, pour l'instant elle voulait juste pouvoir regarder le film pour lequel elle avait payé sa place. Et aussi, peut être, sympathiser avec la charmante brune à ses côtés.

La scène qui suivit l’éclat de voix d’Anita était somptueuse, pas assez pour justifier la poussée d’hormones qui avait envahi la salle mais tout de même très belle.

Et voilà, une fille un peu dénudée et les adolescentes ne se tiennent plus!

Anita sourit, sa voisine et elle avaient eu la même idée, une salle remplie d’adolescentes bourrées d’hormones. Cela lui rappela les images du concert d’un chanteur à minettes où la moyenne d’âge du public n’était pas bien plus haute qu’Anita et où ledit public n’était pas venu pour les performances vocales du pauvre garçon.

Je vous parie qu’elles auraient eu la même réaction s’il n’y avait pas eu les fleurs … non ça aurait été pire, dieu soit loué les fleurs étaient là !

Anita se mit à imaginer la scène sans les fleurs, rougissant légèrement. Ce village lui déteignait vraiment dessus.

Vous faites quelque chose après ce film ?

Les mots étaient sortis tous seuls, et Anita voulut se donner un coup de poing juste après les avoir prononcés. Finalement elle ne valait pas mieux que les sacs d’hormones dans la salle, même si sa voisine était bien plus attirante que la demoiselle dans les roses, surement parce qu’elle était juste là à côté d’elle. Son cerveau changea alors la scène avec les roses, y intégrant automatiquement sa voisine. Ses joues virèrent encore un peu plus au rouge. Il fallait vraiment qu’elle fasse quelque chose. Elle avait déjà connu cette situation où son corps réagissait plus vite que son esprit de préservation à cause d’une trop grande privation. Sa grand-mère se retournerait dans sa tombe si elle savait que sa chère petite Anita avait l’esprit empli d’idées impures.

Anita se renfonça dans son siège, elle avait lancé l’idée qu’elle et sa charmante voisine pourraient prolonger leur soirée ailleurs, mais elle n’avait pas la moindre idée d’un endroit où aller ni même de quoi faire … oh attendez si, ça elle avait bien quelque chose en tête. Un nouveau dégradé de rouge se dispersa sur son visage. Heureusement que les salles de cinéma n’étaient pas éclairées sinon elle aurait eu l’air aussi stupide que les jeunes filles alentour.

Je n'ai aucun projet précis, mais j'ai bien l'intention de prolonger la soirée, et si vous voulez vous joindre à moi.. Nous trouverons bien quelque chose à faire!

Anita opina de la tête, tentant de dissiper les images qui se formaient dans son esprit. Ce fut chose plutôt aisée face à la scène qui prit place sur l'écran. Un sac plastique flottant au gré du vent, le tout bercé par la voix de personnage masculin à la source de cette séquence. Anita ne comprenait pas grand chose au cinéma d'une manière générale, se contentant d'y voir ce qu'elle avait envie. Du rire quand elle avait envie de rire, des larmes quand elle avait envie de pleurer et de la violence pure quand son patron l'avait trop énervée. Dans ce film, elle voyait ce à quoi elle avait échappé grâce à son mode de vie, elle voyait la beauté de son choix, et ce ballon lui rappela ce choix car comme lui elle avait suivi le vent sans se soucier de ce que l'on attendait d'elle. Anita fut tirée de ses pensées lorsqu'elle sentit la chaleur de la main de sa voisine sur sa propre main. Son premier réflexe fut de crisper ses doigts sur l'accoudoir, mais le contact n'avait rien d'agressif et Anita ne retira pas sa main, regrettant presque que sa voisine l'ait fait. Elle l'entendit murmurer quelques mots à son oreille. Les murmures, ces paroles échangées dans les moments les plus dangereux, les plus intimes. Anita se remémora immédiatement des missions sur lesquelles son boss l'avait envoyée, elle avait du rester cachée des heures durant, silencieuse, avec un autre journaliste, n'échangeant que des regards et des murmures. Elle se remémora également l'autre moment où elle avait échangé des murmures avec le journaliste en question et la situation était toute autre. C'était plus ce que lui évoquaient les murmures de sa voisine. Anita tourna légèrement la tête, posant son regard sur sa voisine.

Une réussite visuelle, murmura-t-elle à son tour se disant que cela pouvait tout aussi bien s'appliquer au film qu'à sa voisine.

(désolée du retard!!)

Keyah lui sourit. Anita semblait avoir elle aussi apprécié cette scène. Elle ne pouvait laisser personne indifférent, même si chacun la voyait à sa façon.
Elle se retourna vers le film qui continuait, montrant l'écroulement de chaque partie de cette vie prétendument parfaite qu'avaient les personnages au tout début.

Keyah avait beaucoup aimé ce film la première fois qu'elle l'avait vu. Comme cette fois-ci, elle y était allée toute seule. Sauf que cette fois.. il y avait cette charmante jeune femme dans le siège à côté du sien.
Elle regardait le film, oui, mais une partie de ses pensées se perdait en une recherche, en vain, d'une idée pour la suite de la soirée.
Non pas qu'elle n'avait point d'idées, c'était plutôt qu'elle en avait trop, et que celles-ci se bousculaient dans sa tête, sans ordre aucun. De plus, pas une seule ne lui semblait vraiment intéressante. Et puis elle ne savait rien des goûts d'Anita.
Au bout d'un moment, elle décida qu'elle verrait bien, et puis qu'elle pourrait aussi bien la laisser choisir.

Elle mit fin à ce chaos dans sa tête et put profiter du film tranquillement. Ou presque. La chaleur du bras d'Anita tout près du sien était un autre motif de distraction. Quelle chance tout de même.. Elle était arrivée seule et en retard au cinéma, et finalement elle se trouvait à faire connaissance avec une jeune et jolie femme, seule également, qui semblait plus âgée que la moyenne d'âge de la salle, et qui lui avait laissé sous-entendre qu'elle apprécierait continuer de faire connaissance ailleurs après le film.
Que du bon.

Le film était désormais bientôt fini. La plupart des petits couples semblait avoir été calmés et refroidis, ce qui n'était pas plus mal.

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