Un air de déjà vu [PV Sarah]

Lily ne savait plus où elle en était. Tout s’accumulait. Rupture brusque, vieux souvenir douloureux qui refaisait surface et arrivée plus que déroutante à Etiopia, tout ceci s’était produit en moins d’une heure de sa vie. Kassie l’avait réceptionnée et accueillie du mieux qu’elle avait pu mais ce nouveau monde dépassait son entendement et ajoutait à son déboussolement. Elle n’avait plus aucun repère. Pas même celui du temps, cette notion aussi commençant à lui échapper, elle laissait défiler les journées et les nuits sans s’en soucier un instant, dans un état de passivité et d’inaction qui lui était bien inhabituel. Quoi que pas tellement. Cela ressemblait quelque peu à son état d’indifférence qui était survenu après la perte de son petit frère. Ressemblait seulement. Car des deux situations, l’émotion différait.
Lily passait tout son temps autour de sa couette, tantôt dessous, tantôt dessus, ne se nourrissant que grâce à l’attention que lui portait Kassie qui lui apportait quelques mets. Et c’est dans cet état léthargique qu’un matin, elle se leva du lit, tôt, ignorant absolument si c’était le milieu de la nuit ou le début de l’après-midi. Son esprit n’avait pourtant guère avancé dans ses pérégrinations vagues et incertaines. Mais ce corps semblait avoir décidé de se mettre en mouvement. Toutefois, son esprit embrumé incapable de prendre les commandes, ce n’est que demi-consciente que la jeune femme se laissa guider par sa paire de pieds, qui eux-mêmes auraient été bien incapables d’expliquer où ils allaient.
Lily erra ainsi un certain temps, ignorant l’absence de luminosité de ce matin d’hiver et snobant royalement la lente levée de l’astre des jours. Mais il faut croire que ses mirettes et ses esgourdes s’entendirent pour s’emparer du pantin qu’elle était car elle finit par atterrir en un lieu qu’elle ne pouvait avoir inconsciemment choisi au hasard. Ce fut d’abord la musique qui éveilla ses sens. L’air qui lui parvenait lui était familier. Qu’était-ce donc ? Et où était-elle ? Ses oreilles et ses yeux lui criaient “Scotland” mais ce n’était là que tromperie. Quel était donc cet endroit où elle entendait une musique de son pays au milieu de ruines qui n’étaient pas sans lui évoquer ses longhouses de Unst ? Ces constructions délabrées étaient pourtant différentes des ruines de son île natale, et elle avait conscience de ne pas avoir quitté Etiopia. C’était un peu comme si elle n’avait pas laissé son lit et que ses songes l’avaient transportée là où elle rêvait d’être, avec les quelques incohérents détails dont seul le monde onirique avait le secret.
Concentrant son attention, Lily remarqua d’où venait ce doux grincement. Une silhouette se mouvait, partiellement masquée par un pan de mur, au rythme des notes. L’écossaise s’approcha, encore à moitié dans sa torpeur. Le son lui parut plus net et son esprit termina de se remettre d’aplomb. Elle évita de trop s’approcher, ne souhaitant pas perturber la musicienne dans son exercice. Elle alla s’asseoir contre un bout de mur se trouvant dans le champs de vision de la violoniste. L’air lui était finalement revenu et elle se retenait à grand peine de le fredonner, préférant profiter de l’instant, silencieusement, et les yeux clos.

Une brise fraiche soulevait les cheveux blonds de Sarah. Malgré l’arrivée du beau temps, le début de soirée restait frais. Ce n’était pas pour lui déplaire. Sarah aimait la douceur de ce vent léger. Rien ne pouvait la perturber quand elle se baladait seule dans des zones bien éloignées de la ville. Elle ne connaissait pas encore bien Eden et était avide d’en savoir plus. Chaque détail de la nature avait le don de la passionner. Ses yeux arpentaient l’endroit avec émerveillement. Cela ne ressemblait en rien à son Angleterre. Du moins ce qu’elle avait vu de ce pays. Elle n’avait finalement pas beaucoup voyagé. Alors, découvrir cette île riche de mystères lui plaisait bien évidement.

Sa balade du jour l’avait amenée à des ruines. C’était un endroit bien étrange et elle aurait aimé savoir ce qu’il représentait exactement. Qu’y avait-il bien pu avoir ici par le passé ? Son métier de bibliothécaire lui permettrait de répondre à cette question dès qu’elle serait rentrée en ville, à Etiopia. L’histoire de cet endroit, elle ne la connaissait pas d’avantage qu’un nouvel arrivant, il serait surement temps qu’elle se renseigne. Cela faisait partie de ses responsabilités non ? L’ambiance du lieu lui rappelait de lointains souvenirs auxquels aujourd’hui, elle n’accordait plus la moindre attention. Peut être aurait elle dû.

Les rayons qui se frayaient difficilement un chemin parmi les  ruines, éclairaient une étendue d’eau. Chose qui semblait presque mystique. Elle s’en approcha attirée par la clarté de cette dernière. Sarah s’assit sur un rocher non loin de là pour observer ce spectacle qui la dépassait. Elle sortit son violon jouant d’abord quelques notes improvisées par l’émotion du moment. Elle laissa ensuite remonter le souvenir de l’une des seules personnes avec qui elle s’était entendue à l’orphelinat. Théodore, un écossais qui jouait incroyablement bien du piano. Cette musique lui revenait  en tête. Cette musique qu’il jouait sans cesse disant qu’un jour l’Écosse serait le centre du monde. Il avait une vision assez amusante des choses. À croire qu’elle avait eu quelques bons souvenirs dans cet orphelinat.
La blonde reproduisait de façon imparfaite les notes de cette mélodie qu’elle avait tant aimé écouter quelques années plus tôt. Aussi surprenant que cela puisse être, elle n’avait jamais essayé de la jouer auparavant et cela venait naturellement comme si elle avait passé son enfance bercée par celle-ci. La musique défilait sans qu’elle ait besoin de réfléchir à la suite.

Elle n’aperçut pas immédiatement la présence de quelqu’un. L’endroit était désert quand elle était arrivée et l’ambiance de ces ruines pouvait être un peu effrayante alors elle s’était attendue à être seule. Ce n’était apparemment pas le cas. Sarah s’arrêta de jouer et posa son violon à côté d’elle. Est-ce qu’elle était en train de l’écouter ? Ou elle était déjà là avant et elle n’y avait pas fait attention ? Elle n’aimait pas beaucoup qu’on l’écoute jouer. Elle fixa l’eau immaculée qui se trouvait devant elle durant quelques secondes avant de se décider à parler.

« Bonjour ? »

Elle remarqua seulement après que cette dernière avait les yeux fermés. Elle aurait surement du y faire attention avant d’ouvrir la bouche.

« Ah pardon… Je ne savais pas que vous dormiez. Je ne vous avais pas vue. »

La blonde prit un air blasé contre elle-même. Si elle continuait à parler, elle allait plus la déranger qu’autre chose.