Et je me noie, dans ce monde, immonde, qui est le mien. En cours.

Plic plac ploc. Comme si depuis toutes ces années, elle ne t'avait jamais quitté. Plic plac ploc. Cette pluie qui accompagnait le moindre de tes pas. Plic plac ploc. Tu observais les fines gouttelettes s'écraser brusquement sur le bitume, le regard vitreux, les yeux éteints, tu laissais couler ta peine. Et bientôt, des sanglots à demi étouffés vinrent briser le plic plac de la pluie dans un gémissement plaintif.


« Et c'est ainsi que le prince et la princesse vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Fin... Pourquoi fais-tu cette tête petite soeur ?
- Boh... Pourquoi la princesse peut pas être heureuse avec une autre princesse ?
- Haha ! Mais ça peut l'être ma petite soeur adorée. Tu sais, chaque histoire peut être racontée différemment.
- Et bah dans mon histoire ce sera une princesse ! Parce que les garçons sont pas gentils et pas très propres ! Ils passent leur temps à tirer les cheveux des filles et à se mettre les doigts dans le nez !
- Je ne suis pas gentil moi ? »

Edward posait sur toi un regard à la fois doux et amusé alors que sa main venait replacer une mèche rebelle derrière ton oreille. Comment pouvait-il t'en vouloir ? Du haut de tes sept ans à peine tu étais une adorable fillette avec déjà beaucoup de maturité pour ton jeune âge. De tes perles pétillantes tu l'avais écouté raconter son histoire avec un tel émerveillement qu'Edward se sentait fier d'être ton frère. Ton unique modèle. Et tes dernières paroles avaient été exprimées avec tant de fougue, tant de hargne qu'elles ne purent que lui arracher un sourire. Tu aimais ton frère. Il t'émerveillait et te faisais rêver, il était ton héro, ton gardien. Avec lui, bien blottie dans ses bras protecteurs, tu te sentais dans une sécurité telle que plus rien ne pouvait t'effrayer.

« Mais toi, grand frère, tu n'as rien à voir avec les autres garçons.
- Ah bon ? Que suis-je alors ?
- Toi tu es Edward ! Tu es mon héro ! »

Avais-tu s'écrier avant de resserrer tes fragiles petits bras autour de son torse pour le câliner. Edward ne jouait pas seulement le rôle du frère bienveillant, il était aussi le père que tu n'avais pas eu le temps de connaître. Ou du moins, tu ne te souvenais pas de ton géniteur, celui-ci avait quitté le nid familial bien assez tôt pour ne jamais revenir. Mais jamais la présence de ce père inexistant ne te manqua, parce que toi tu avais Edward et que c'était bien suffisant.
La fatigue commençait à se faire ressentir et alors que tu te saisissais de ton lapin en peluche pour te glisser dans tes draps, Edward lui était occupé à te border délicatement. Il te gratifia d'un sourire tendre et sincère, puis vint déposer un long baiser sur le haut de ton front.

« Allez, il est temps de dormir. Bonne nuit petite sœur.
- Grand frère ? Tu promets que demain tu me racontera une histoire avec deux princesses ?
- Oui Harmonie, je te le promet.
- Et tu promets que quand tu auras trouvé ta princesse tu ne me laisseras pas toute seule ?
- Voyons, jamais je ne t'abandonnerais sœurette. Comment ferais-je sans cette adorable frimousse auprès de moi hein ?
- D'accord. Bonne nuit grand frère.
- Bonne nuit ma puce. Fait de beaux rêves, pleins de princesses et sans aucun vilain garçon pour les ennuyer. »

Il sourit à nouveau, mais tu étais déjà profondément endormie lorsqu'il passa une dernière fois la main dans tes longs cheveux blonds avant de quitter la pièce.


En cours d'écriture.

Plic plac ploc. Il parait que le bruit de la pluie est apaisant. Plic plac ploc. Et pourtant, il n'a jamais su calmer tes maux. Ce plic plac ploc incessant qui vient agresser tes tympans telle une douloureuse piqûre de rappel. Cette pluie qui ne te quitte jamais, tu ne la supporte plus.

La vie n'a jamais semblé aussi pénible à mener que depuis la disparition d'Edward. Elle te laisse un goût amer qui a le don de te rendre agressive et si peu enclin à la patience que tu en deviens tout simplement imbuvable. Une peste, voilà ce que tu es. Une peste qui ne semble vouloir faire aucun effort pour tenter d'arrondir les angles. Une bête prêt à mordre tout ce qui se met à sa portée. Oui, voilà ce que tu es aujourd'hui, Harmonie. Une pauvre nana tellement paumée qu'elle ne peut pas s'empêcher de faire dégouliner sa rage sur tout ce qui l'entoure.

Pauvre animal blessé que tu es. Effarouchée à l'idée de pouvoir aimer à nouveau et de prendre le risque d'être détruite toujours un peu plus. Tu n'es qu'une ombre parmi tant d'autres. Une coquille vide dénuée d'intérêt et à qui personne ne s’intéresse. Tu t'es enfermée dans une solitude que toi-même tu ne supporte pas et pourtant, oui pourtant, tu t'y contrains, à rester éperdument seule. Seul le souvenir d'Edward et l'ébauche de son sourire gravé dans ta mémoire permet de te faire tenir. Parfois tu te demandes ce que tu fais encore ici, aujourd'hui.

Le fardeau de sa mort pèse sur tes épaules et il est si lourd à porter que ton dos semble se voûter. Seule ton enveloppe charnelle demeure, Harmonie, parce que ton âme, elle, est morte avec celle de ton frère. T'es tellement orgueilleuse que t'assumes même pas d'être triste, c'est pourquoi tu brises tout ce que tu touches. Être agressive et moqueuse envers les autres est le seul moyen de te défaire de cette douleur atroce qui réside dans ton cœur. Si au moins une lueur d'espoir animait ton regard. Mais non, tu es tellement pessimiste et paranoïaque qu'il faut systématiquement que tu penses à mal. Et même la personne la plus bienveillante du monde, tu serais capable de la rejeter, Harmonie.

Et puis, parfois, l'ancienne Harmonie refait surface par ses taquineries et ses sourires sincères. La Harmonie qui sait protéger, la Harmonie qui sait écouter et qui sait rire et aimer. En fin de compte t'es rien de plus qu'une pauvre bête blessée qui ne demande qu'à être apprivoisée et aimée. Faudrait-il déjà que tu te laisses approcher pour qu'on puisse te caresser. Arrêtes de montrer les crocs pour une fois, Harmonie et tu verras, peut-être que la vie te souriras.

Tu l'observes, ce visage que tu ne supportes plus. Ce reflet que tu as tant de mal à apprécier, à assumer. Et pourtant, ils t'appartiennent bien, ces yeux joliment ombrés d'épais cils noirs. Ce regard cerné par la fatigue qui exprime une certaine lassitude, comme si la vie t'ennuyais toujours un peu plus. Elles fixent ce reflet méprisable, tes prunelles de glace, véritable miroir sur ton âme. Tu as beau faire la fière, faire la forte, tu sais très bien que tes yeux laissent tout paraitre de tes émotions. Il suffit de s'attarder un peu dans l'intensité de ce bleu perçant pour se rendre compte que quelque chose cloche chez toi. Il suffit de t'observer un peu plus intensément pour s'apercevoir que ton visage est impassible, mais que tes yeux sont tristes.

Et puis, parfois tes lèvres s'étirent pour sourire. Non pas parce que tu es heureuse, non, juste pour observer ce sourire et te rappeler qu'Edward avait exactement le même. Ce n'est qu'une douloureuse piqûre de rappel en plus, quand c'est ton frère que tu as l'impression de voir dans le miroir. Si tu ne souris plus aujourd'hui, c'est peut-être pour éviter de torturer un peu plus la plaie lancinante qui réside dans ton cœur. Tu te souviens de ce morceau de verre avec lequel tu t'es blessé et tu baisses lentement les yeux vers tes poignets. Ta peau est blanche, presque laiteuse. Peut-être trop blanche. Tes poignets sont usés et marqués par de vilaines cicatrices que tu n'assumes même pas. Et pourtant, c'est toi qui les as faites, Harmonie.

Tu as bien grandit depuis la mort d'Edward. Tu ne supportes pas de vieillir, de te voir devenir femme. La petite fille adorable que tu étais autrefois a désormais bien changée. Aujourd'hui tu es une femme avec des formes certes menues, mais agréables à observer.

Tu passes ta main dans les mèches blanches de tes cheveux. Combien de temps n'as-tu pas été rendre visite à un coiffeur ? Surement une éternité, vue la longueur de ta crinière. Et parfois, ton doigt s'entortille nerveusement autour d'une de ces mèches pour tirer délicatement dessus. Tu pousses un long soupire de lassitude et décides de quitter le miroir, juste pour ne pas te faire souffrir d'avantage. Juste parce que tu n'as pas le courage d'assumer ce que tu es, Harmonie.

✖ CODE : Digimon, petit monstre.