[Monologue] Event de Pâques : Envie de sucré!!!

Jeu 22 Mai 2014 - 23:16

Alors que cela faisait déjà presque un semestre qu'elle était arrivée à Étiopia, et qu'elle commençait à bien connaître les différentes échoppes du centre-ville, Ayako n'avait encore jamais osé rentrer dans la petite librairie qui s'y trouvait pourtant bien en vue, logée auprès d'autres commerces qu'elle avait déjà fréquentés. Peut-être parce qu'elle n'était pas elle-même une très grande lectrice, ou bien tout simplement parce que l'aspect un peu désuet et solennel de la boutique l'avait toujours vaguement impressionné... Elle ne s'expliquait pas en vérité pas très précisément la raison de ses craintes ; et sans doute n'étaient elles pas très solidement fondées puisqu'en cette belle après-midi de printemps déjà bien avancée, elle franchit d'un pas alerte le seuil de l'étroite porte vitrée qui permettaient de pénétrer dans les rayons de livres.

*Ouah, c'est comme dans l'atelier de mon grand-père... Il y en a partout !* ne put-elle s'empêcher de penser, alors que son regard hésitait à se poser sur de vieux volumes d'antiquaires à la couverture fauve et reliée, tandis que la tranche de nombreux ouvrages de poches en tous genres ne cessaient d'exciter sa curiosité par leurs titres étranges et poétiques qui en quelque sorte se suffisaient à eux-mêmes, comme autant de promesses de rêveries que la lecture des romans ou recueils correspondants auraient certes pu approfondir, mais qui n'étaient cependant pas nécessaire pour en apprécier la beauté.

Et puis il y avait autre chose, qui rappelait à la jeune lycéenne plus précisément l'atelier de menuiserie où elle avait passé la majeure partie de son enfance et où elle avait fini par se réfugier avant d'arriver à Étiopia : les livres, comme les fleurs lorsqu'elles pollinisent ou qu'on les met à sécher, embaumaient. Contrairement à l'idée très répandue selon laquelle une librairie respire trop souvent l'intellectualité surfaite et la prétention dans le plus mauvais sens du terme, celle-ci évoquait plutôt une sorte de nid douillet, un endroit dans lequel on aurait plaisir à se blottir et à se laisser aller en cas de difficultés, un peu comme sans être professionnel le moins du monde, on peut avoir plaisir à jouer pour son propre compte d'un instrument de musique appris dans son enfance, et dont quelques mélodies peuvent parfois suffire à soulager le trop plein de sentiments que l'on voudrait exprimer.

Cependant, alors qu'Ayako rêvassait doucement en regardant les couvertures de livres sur la mer (la jeune fille avait toujours voué une grande admiration aux nœuds marins, dont elle se servait souvent comme source d'inspiration dans ses broderies), elle s'était insensiblement rapproché du comptoir de la librairie, dont la vendeuse s'était absentée, probablement pour aller compter ou chercher des ouvrages en arrière-boutique. Son café, qu'elle s'était sans doute préparé peu de temps auparavant en attendant d'éventuels clients, reposait encore fumant tout près de la caisse, avec quelques morceaux de carrés de sucre à demi sectionnés qui avaient laissé toute une constellation de cristaux scintillants éparpillés sur le dessus de table beige.

Un peu espiègle et sans vraiment même s'en rendre compte, Ayako ne put s'empêcher d'appuyer son doigt sur ces éclats de sucre pour y goûter ; depuis sa sortie du lycée un peu plus tôt dans la journée elle n'avait cessé de penser à quelle sorte de sucrerie elle allait bien pouvoir s'acheter au kiosque tout proche en rentrant vers l'hôtel, et voilà que du sucre venait directement à elle sans qu'elle prenne son parti d'en profiter ? C'était vraiment chose impossible, et son mouvement fut presque aussi prompt qu'inconscient car à peine eût-elle touché la nappe qu'elle entendit quelque chose rouler presque imperceptiblement à l'autre bout du comptoir : un petit œuf de Pâques encore tout emballé d'aluminium bleu, vert et rouge aux motifs croisés se précipitait à tout allure vers le sol, et il s'en fallut de peu avant que la jeune lycéenne n'ait plus le temps de le rattraper et qu'il ne vienne directement s'écraser au pied de la caisse du magasin.

« Oh, remarquable ! » s'écria une voix chantante juste derrière elle, qu'Ayako reconnut avant même de la voir comme appartenant pour sûr à la vendeuse de la librairie. Toute rouge de la posture assez inconfortable dans laquelle elle se trouvait – elle portait une jupe assez courte et s'était penchée de tout son corps pour récupérer l'œuf avant qu'il ne tombe – , et par ailleurs un peu honteuse d'avoir été surprise non seulement en train de chiper des morceaux de sucre à café, mais aussi théoriquement l'œuf en chocolat qu'elle tenait à la main, la jeune fille voulut bredouiller un mot d'excuse et rendre l'objet qu'elle n'avait pour sa part eu aucunement l'intention de voler. Mais avant même qu'elle put prononcer la moindre parole intelligible, la vendeuse ajouta en riant :

« Ne t'inquiète pas, des œufs comme celui-ci, j'en ai des tas ! Je voulais les offrir aux clients pour Pâques, mais je n'ai pas réussi à écouler tout mon stock... du coup je les mange avec mon café ! Celui-ci est à toi, du moins si tu aimes le chocolat au lait car à en juger par sa couleur, c'est de cela qu'il s'agit ! »

Encore toute surprise de la clémence dont elle avait fait l'objet, Ayako ne put s'empêcher d'effectuer un profond salut à la mode japonaise en guise de remerciement ; puis, sans demander son reste, elle sortit prestement de la boutique, non sans manquer de faire tomber la moitié des livres qui se trouvaient sur les présentoirs près de l'entrée. Elle eut tout juste le temps de s'entendre crier :

« Reviens quand tu veux ! »

La jeune lycéenne était déjà dans la rue, malgré tout encore un peu retournée par les événements qui venaient de se produire. Elle marchait vers l'hôtel à pas pressés, serrant fort au creux de sa main l'œuf qu'elle venait de se voir attribuer. Mais elle n'avait pas passé trois rues que l'envie de manger quelque chose de sucré, qui l'avait saisie dès sa sortie du lycée et avait finalement conduit à toute cette aventure, la reprit de plus belle, et avec une telle intensité qu'elle n'hésita pas longtemps sur ce qu'il lui restait à faire :

*Avec cette chaleur, mon œuf va fondre avant même de rejoindre ma chambrée... ce serait vraiment trop bête!*

Et c'est ainsi qu'Ayako dévora l'œuf sur place, au beau milieu du trottoir et des passants médusés, dont les regards envieux eurent tôt fait de la confirmer dans la résolution qu'elle avait prise. En plus, le chocolat était délicieux !