Famous people glitter like pinpricks of light [PV Tsukimi!]

« Il y a quelque chose de pourri dans l’empire du Danemark » - Hamlet

Glitter était puissante. C’était une de ces belles femmes du monde qui vous faisaient du gringue sans arrière-pensée et s’en allaient aussitôt dès qu’elles s’étaient lassées. Le monde c’était la scène, le plateau de jeu favori sur lequel elle s’élançait avec toute la grâce qu’on lui connaissait. Elle déambulait çà et là et partout on hurlait son nom dans les rues. Elle était connue. Car oui, son essence se résumait en ce mot même : célébrité. Mais ici il n’en était rien, elle continuait à faire ce qu’elle savait faire de mieux cependant ; poser et défiler de temps à autre. Sa vie s’était considérablement ralentie, un peu comme si le flot incessant de flashs et de paparazzis s’en était allé dans un petit coin noir de sa tête sans qu’on puisse l’en déloger. Son existence avait fait du bruit dans ce petit cercle huppé et fermé aux simples mortels. Car oui, c’est une part de son âme à laquelle il fallait renoncer, une part de son humanité que l’on devait renier si l’on souhaitait y accéder. Ce monde « people » aimé de tous mais tout aussi craint inspirait adulation et incompréhension aux « outsiders » de la planète. Et Lola s’ennuyait profondément.

Elle s’était rendue aux sources chaudes sans raison apparente. Elle y était et c’était tout. Enivrée par les vapeurs d’eau qui s’échappaient de ce petit microcosme dans lequel elle se trouvait désormais, elle pensait. Chose plutôt rare s’il en est ; à croire que se retrouver seule face à sa conscience avait des effets tout aussi inattendus qu’incongrus. Ça bouillonnait dans l’eau chaude qui l’entourait comme dans sa tête. Les pensées s’entrechoquaient contre la paroi imperméable de son esprit, le vent soufflait au-dehors dans les branchages, et la neige tombait. C’était comme si le manteau blanc venait l’ensevelir elle et ses idées saugrenues. Mais ce n’était pas désagréable, le contact de l’eau chaude contre sa peau nue avait pour effet de détendre ses muscles inhabituellement tendus. Ah qu’elle était belle la célèbre mannequine, le monde entier en eût ri s’il avait eu vent de ses agissements. Depuis quand avait-on le droit de prendre du temps pour soi alors que l’on réclamait photos et prestations irréprochables ?

« Oui, depuis quand je me permets de faire ça moi ? »

Lola n’avait pu empêcher cette phrase de glisser entre ses lèvres. Mais la situation était tout autre aujourd’hui, depuis qu’elle avait décidé de traverser le grand portail de fer froid à dire vrai. On lui avait dit que c’était justement pour qu’elle puisse prendre soin d’elle qu’elle était ici, que sa présence n’était pas dépourvue de sens. Pourtant, Lola était désorientée. Plus désemparée que jamais. C’était comme si elle passait de tout à rien ou bien l’inverse, elle ne savait pas exactement. Qu’y avait-il à regretter de sa vie passée ? La gloire ? L’hypocrisie régnante ? Une amourette finie avant même d’avoir commencé ? Oui, dites-lui donc ; elle se retrouvait totalement démunie. Et la neige tombait, comme pour recouvrir ses vieux fantômes qui venaient la hanter.

C’était la première fois que Lola se laissait ainsi aller à la morosité. Elle d’ordinaire si propre sur soi et raisonnable laissait couler dans l’eau ses réflexions impures pour une personne de son envergure. De si petite envergure. Car si Glitter était la partie émergée de l’iceberg, le visage qu’elle montrait chaque jour face au cliquetis de l’appareil photo, Lola existait bel et bien. Quelque part. Glitter c’était la neige, la glace qui l’enveloppait ; pleine d’assurance, professionnelle et froide : c’était l’image derrière laquelle Lola se cachait. Et, au contact de l’eau, la neige fondait.

Alors Lola immergea sa tête dans le liquide transparent et chaud, rassurant et enivrant. Elle ferma les yeux et attendit quelques secondes avant de refaire surface. C’était calme. Elle soupira avant de regarder le ciel au-dessus d’elle, sa vue était brouillée par la vapeur d’eau qui s’échappait. Il n’y avait pas grand-chose à faire, c’en devenait presque monotone. Soudain, elle entendit comme un bruit qui n’avait pas lieu d’être. Aux aguets, la jeune femme se releva quelque peu dans le bassin et scruta les alentours non sans une certaine inquiétude.

« Qui est là ? », osa-t-elle demander avec une témérité relative.

Attendant une quelconque réponse, elle resta coite sans mot dire. Le vent soufflait, la neige tombait, c’était comme une sorte de déjà-vu. Ses pensées bouillonnaient, l’eau aussi.

Et le reste était silence.

Un silence s’en suivit. Un silence maladroit.
Elle avait entendu une phrase un peu bredouillée, un peu bafouillée, quelque peu cafouillée à en juger par l’intonation qu’avait adoptée son interlocutrice. Une phrase sur laquelle on avait buté sans grande confiance ni assurance ; une phrase qui manquait d’éloquence. La tension était montée d’un cran paraît-il mais Glitter ne le ressentait pas ainsi. Elle vivait au-dessus des lois de la nature humaine. Il y avait toutefois de quoi être rassurée, la surprise avait laissé place au soulagement et le mannequin se détendit de nouveau. L’inconnu s’en était allé et à ce dernier se succédait quelque chose de familier ; on était bien loin du monstre sous le lit ou dans la cage d’escalier : c’était simplement quelqu’un qui avait fait irruption dans son monde à elle. La vapeur d’eau qui s’échappait du bassin ne lui permettait pas de distinguer le visage de la nouvelle arrivée aussi en profita-t-elle pour reprendre son calme et afficher un air serein et posé avant d’élever la voix à son tour et d’énoncer avec aplomb :

« Oh, ‘juste vous’ ? -glissa-t-elle sur le ton de la plaisanterie- Je ne m’attendais pas à ce qu’une autre personne vienne ici voilà tout. Entrez dans l’eau, vous n’allez pas continuer à vous geler dehors. »

Un tantinet amicale et polie, c’était une fille bien sous tous rapports.
Il faisait assez froid et toute personne de bon sens aurait immédiatement plongé dans l’eau bouillante sans autre forme de procès. Lola espérait que la jeune femme allait faire de même avant de se transformer en glaçon au bord de de la source de chaleur qui se trouvait pourtant si proche. Ou peut-être s’en fichait-elle tout simplement, ce n’était aucunement son problème. On ne savait pas trop, au final, à quoi elle pensait. C’était une sorte de puzzle ; un casse-tête chinois où ses souvenirs s’entremêlaient et s’emboîtaient sans pour autant que cela ait du sens. Ils s’assemblaient aléatoirement, se recollaient, se rafistolaient les uns les autres, embrouillant d’autant plus l’Irlandaise plus de cœur que de raison. L’arrivée de son interlocutrice n’avait rien arrangé en fin de compte, elle allait donc devoir mettre un verrou sur son esprit et faire taire l’ébullition qui entravait sa réflexion. Sans doute qu’elle eut un moment d’absence, oh, l’espace d’une minute tout au plus.

Et elle revint à elle en un battement de cils.

N’y avait-il donc rien en ce monde qui pourrait susciter chez elle autre chose que de l’ennui ? Ah qu’il était morne le monde, avec ces gens sans intérêt qui déambulaient hasardement dans les rues ; ah qu’il était beau le monde, avec ces conversations creuses et vidées de toute substance. On s’échangeait des mondanités, des phrases dénuées d’intérêt qui ne revêtaient pas de sens particulier. C’était tellement lassant ; à croire que l’amusement avait fui l’essence même de l’existence. Et Glitter s’ennuyait profondément.
C’est sans doute pour cela qu’elle entreprit de relancer la conversation avec nonchalance, comme s’il ne pouvait en être autrement si elle espérait se divertir un tant soit peu.

« Elle ne semble pas vouloir s’arrêter de tomber…la neige. Mais les sources d’eau chaude n’en sont que plus agréables vous ne trouvez pas ? »

Quitte à parler de la pluie et du beau temps, il fallut que ce soit à propos de la neige. Oh, une multitude de possibilités s’offraient à Lola en ce qui concernait la manière de relancer la discussion mais elle décida de choisir celle-ci entre toute. Les questions personnelles n’étaient pas sa tasse de thé, elle ne les appréciait pas particulièrement : alors autant parler de choses impersonnelles qui n’impliqueraient personne dans leurs histoires. C’était une solution comme une autre, sans doute la moins mauvaise aux yeux du mannequin. A quoi bon se précipiter ? Se hâter et vouloir tout savoir de la première inconnue rencontrée par hasard n’était pas dans ses habitudes ; c’était bon pour les naïfs de petite envergure. C’était tout juste bon pour ceux de la basse et elle, elle, elle était de la haute. Peut-être même que le simple fait de connaître le prénom de son interlocutrice ferait perdre de son charme à cette rencontre impromptue. Non, décidément l’inconnu était toujours plus attrayant que ce qui était acquis et connu d’avance.
C’est anonyme qu’elle voulait rester.